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A l’invitation de Cristal Credit et du Club Pays Entreprises (1), l’ex-ministre des Affaires étrangères (2002-2004), ministre de l’Intérieur (2004-2005) puis premier ministre de Jacques Chirac (2005-2007), a présenté, dans les salons de l’Hôtel de Ville de Lyon 8e, une conférence inspirée de son récent ouvrage « Mémoires de paix pour temps de guerre » (2).
L’ancien diplomate, aujourd’hui à la tête d’une société de conseil aux entreprises à l’export, livre une analyse sans concession d’une situation internationale explosive. Avec une Europe, dont le duo franco-allemand est au point mort, qui n’a jamais connu une situation aussi dangereuse. Morceaux choisis.
La diplomatie, pas la guerre !
Dominique de Villepin est extrêmement sévère vis-à-vis de la diplomatie française souvent dictée par une politique qu’il qualifie de « romantique ». « Envoyer des soldats pour mater les dictateurs ? Ce n’est pas une solution ; ça ne marche pas ! On dit : il faut intervenir pour se protéger… c’est une erreur, les faits le montrent ! Les leçons de l’Afghanistan, de l’Irak ou de la Libye où notre intervention a généré un désastre, montrent que le pire des scénarios est celui de la déstabilisation d’un Etat et de la spirale du chaos qui s’installe alors. En accumulant les interventions militaires, nous avons fait une erreur d’analyse, un contresens historique. Car la violence appelle la violence. Nous ne pouvons pas imposer la démocratie par la force. Plus une région est détériorée, plus la situation y devient violente. Alors, la diplomatie reste le seul moyen de défendre des idées, des principes ».
La France doit faire sa révolution diplomatique (...) La relation avec la Russie est incontournable, centrale, essentielle
Et dans ce domaine, « la France doit faire sa révolution diplomatique ! Car refuser de parler avec les régimes en place, comme en Syrie, est une faute. Bachar El Assad n’est sans doute pas la solution mais il faut accepter de parler avec son régime. Comme avec les Russes d’ailleurs : la relation avec la Russie est incontournable, centrale, essentielle. Il faut absolument tenter de trouver des intérêts communs avec la Russie qui se sent dans l’insécurité : elle craint d’être entourée par l’Otan ».
Il faut répondre aux souffrances des peuples et non satisfaire nos penchants idéologiques
Et la morale, alors ? « La morale ? Elle est dans le résultat ! Il faut répondre aux souffrances des peuples et non satisfaire nos penchants idéologiques. Oui, la diplomatie a une dimension morale même si elle repose aussi sur le pragmatisme ; la diplomatie, c’est le pari du mouvement, pas de la position. Et c’est dans l’action que doit s’imposer la morale »
Il n’est pas sain que le dollar reste la seule monnaie de référence des échanges mondiaux
Notre monde change et les incertitudes sont nombreuses. Economiques d’abord. « Par exemple, nous venons d’apprendre la décision américaine d’augmenter les taux d’intérêt. Elle survient après plusieurs années de crédits bas, une politique d’argent facile qui a permis à l’économie mondiale d’utiliser de vastes ressources financières. Cette politique est en partie derrière nous. Le crédit sera bientôt beaucoup plus cher pour les pays émergents et certains pays européens dont la dette va encore s’alourdir et les marges de manœuvre se réduire. On voit bien, ici, qu’une décision prise unilatéralement par les Etats-Unis a des conséquences immédiates sur le climat général de l’économie mondiale. C’est pour cette raison que je propose de créer un G3 monétaire, associant les Banques Centrales des principales monnaies mondiales, la Fed, la BCE et la Banque Centrale chinoise, pour définir une politique de stabilité monétaire globale, car il n’est pas sain que le dollar reste la seule monnaie de référence des échanges mondiaux. Ces incertitudes se rajoutent à celles des changes et à celles du prix des matières premières ».
Incertitudes commerciales
Incertitudes commerciales ensuite. « La remise en cause des grands traités internationaux et l’annonce d’une augmentation de 45 % des droits de douane vis-à-vis de la Chine par l’administration Trump est susceptible de peser sur le climat du commerce mondial. Car il y a un vrai risque de surenchère protectionniste de la part d’un certain nombre de pays, un protectionnisme qui serait très néfaste pour l’économie mondiale. »
Incertitudes géopolitiques
Incertitudes géopolitiques enfin, d’une importance considérable, avec « un risque de guerre (qui) s’aggrave sur la planète, et des tentations militaires de plus en plus systématiques ».
« Il y a deux zones de crise aujourd’hui préoccupantes : la première est à la frontière de l’Europe orientale et de la Russie. La Russie se sent agressée de la part de l’Otan et, également, de la part de l’Europe à travers la crise ukrainienne. Et du côté de l’Otan et de l’Europe, on critique le recours systématique à la force de la part des Russes. On n’est donc pas à l’abri de quelque provocation, sous un prétexte ou sous un autre, dans certaines régions sous tension où les conflits ne sont pas encore résolus. Comment gérer, dans l’avenir, les relations avec la Russie ? L’Europe, si elle ne fait rien, risque bien de se retrouver à l’écart, devenant une variable d’ajustement en cas d’accord entre les Etats-Unis et la Russie comme en cas de conflit. A nous de montrer que nous pouvons proposer dès maintenant des initiatives sur l’Ukraine et sur les sanctions qui pourraient être acceptées par la Russie comme par le nouveau président américain. »
« La même question se pose en mer de Chine, une zone de tension très forte entre les Etats-Unis et la Chine qui multiplie les opérations tendant à élargir sa zone d’influence dans cette partie du monde, considérant que c’est une question de sécurité pour elle. Les Etats-Unis veulent, en face, assurer leur contrôle sur cette zone ».
Pour Trump, rien n’est acquis, tout est sujet à négociation
« Ces deux situations peuvent déraper en fonction des positions diplomatiques prises par l’un ou l’autre camp. Exemple : Donald Trump a pris au téléphone la présidente de Taïwan qui voulait le féliciter, les Chinois s’en sont fortement émus, car il rompait ainsi avec la position historique des Etats-Unis qui ne reconnaissent qu’une Chine, la Chine nationaliste avant 1979, Pékin depuis lors. Trump a répondu : pourquoi ne pourrais-je pas discuter avec la présidente taïwanaise ? Si les Chinois veulent que je reconnaisse le principe de la Chine unique, alors qu’ils fassent un effort sur les relations commerciales avec les Etats-Unis et cessent de détruire nos emplois chez nous. Pour Trump, rien n’est acquis, tout est sujet à négociation, il aborde les relations internationales en homme d’affaires, peu soucieux des principes. Ces pratiques nouvelles impliquent des incertitudes supplémentaires. Des dérapages, des aventures, des escalades, deviennent possibles ».
Des régimes autoritaires qui ont le vent en poupe
« On constate que les régimes autoritaires se renforcent. La Chine, Russie, Iran, Turquie… se retrouvent dans une situation plus attractive, pour certains pays émergents, que les démocraties libérales. En difficulté économique et face à la montée des populismes dans nos propres pays, nous donnons le sentiment de ne pas savoir où nous allons. Les régimes autoritaires, eux, semblent mieux maîtriser leur destin. Du coup, dans une Europe de démocratie libérale, d’autres pays européens adoptent certains traits de régimes autoritaires ou illibéraux pour répondre aux besoins de leurs populations. En Pologne, Hongrie ou Autriche, les dirigeants ne veulent pas rester les bras croisés. Et, pour les peuples, les régimes autoritaires sont parfois plus convaincants que les démocraties libérales. Exemple évident au Moyen-Orient où, sur le terrain, on a le sentiment que l’intervention russe, plus musclée, est aussi plus efficace que celles des Occidentaux ».
« En plus, l’Europe est démobilisée, troublée au point d’être incapable de réagir. Et ça ne va pas s’arranger dans les mois qui viennent, avec une période d’élections qui s’ouvre en France et en Allemagne. Les cartes sont en train d’être rebattues avec la Russie et avec la Chine ».
Il faut aller chercher la croissance dans les pays émergents
« Les pays émergents sont les véritables réservoirs de croissance à l’échelle mondiale. Pour exporter, beaucoup de PME françaises regardent dans les pays voisins. Mais la croissance se situe aujourd’hui en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. Toute entreprise capable d’accrocher des marchés dans ces zones et de les pérenniser se retrouve immédiatement la tête hors de l’eau. Et pour sécuriser sa démarche dans des pays dotés de cultures et de pratiques différentes des nôtres, une règle s’impose : se faire accompagner par des partenaires apportant leurs connaissances financières, commerciales, juridiques… Comment éviter de se faire piller économiquement, de se faire rouler et manœuvrer dans le pays avec lequel on travaille ? Le choix d’un bon partenaire est essentiel. L’internationalisation est un défi à relever dans un contexte plein d’incertitude. Mais il en vaut la peine ! »
(1) Le Club Pays Entreprises, présidé par Georges Jacob, réunit des entreprises exportatrices dans le but d’échanger des expériences de vente ou d’implantation à l’étranger.
(2) Paru en novembre 2016 aux Editions Grasset.