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Samedi 20 Avril 2024

Jean-Dominique Senard Président de Michelin

Michelin - Extrait des Champions de l'économie régionale

Publié Le 25.05.2018 À 16H48
Michelin - Extrait des Champions de l'économie régionale

Jean-Dominique Senard : « Il est possible de combiner performance, responsabilité et durabilité sans rien sacrifier ».

Le premier employeur privé d’Auvergne-Rhône-Alpes tient une place très particulière dans l’histoire industrielle de la Région. Près de 130 ans après sa naissance, Michelin rayonne sur le monde entier grâce à une volonté d’innovation restée intacte. Révolution numérique, impression 3D, responsabilité sociétale seront, dans les prochaines années, les axes de développement d’un industriel devenu également un groupe de services. Jean-Dominique Senard, président de Michelin, s’exprime en exclusivité pour BrefEco.

BrefEco : L’histoire de Michelin repose sur l’innovation. Vous avez présenté, récemment à Montréal, votre concept-pneu Vision. Toutes les voies qu’ouvre ce concept révolutionnaire seront-elles développées ? 

Jean-Dominique Senard : Avec Vision, que nous avons dévoilé à Movin’On en juin dernier, Michelin a voulu explorer tout ce que les technologies de pointe pouvaient apporter à son cœur de métier. C’est un pneu qui repose sur trois partis-pris technologiques majeurs. Dans le concept Vision, le pneu se recharge et s’adapte aux conditions de roulage, car la bande de roulement est imprimée en quelques minutes selon les besoins de mobilité – par exemple rouler sur la neige – ou tout simplement pour compenser son usure. Il s’agit en somme de mettre la bonne quantité de gomme et pas plus, au bon moment, de façon à servir au mieux l’automobiliste. C’est un modèle de mobilité durable. S’ajoute à l’impression 3D l’absence de chambre à air, car le pneu est conçu selon une structure alvéolaire inspirée du biomimétisme. Enfin, ce pneu est équipé d’un système digital de dernière génération qui lui permet de communiquer avec le véhicule et le conducteur. Vision incarne la mobilité du futur selon Michelin : des matériaux de haute technologie, une connexion digitale poussée, un service sur-mesure pour assurer les meilleures conditions de sécurité et une économie de matière qui contribue à réduire l’empreinte environnementale des déplacements. Nous sommes convaincus que les technologies qui composent Vision sont l’avenir (...). Nous sommes encore loin de la commercialisation, mais, par le passé, les intuitions et les innovations de Michelin ont été visionnaires. 

Le pneu vision de Michelin est à la fois sans air, connecté, imprimé en 3D et rechargeable, sur mesure et bio

BrefEco : Michelin a créé avec le groupe Fives une filiale dans l’impression 3D. Qu’en attendez-vous ?

Jean-Dominique Senard : Il s’agit d’un autre aspect de la fabrication additive : l’impression 3D métallique. Michelin possède un savoir-faire dans ce domaine, et le met au service de sa capacité d’innovation : aller toujours plus vite dans la conception et le développement de nouveaux pneumatiques.  Nous avons jugé que ce savoir-faire offrait des perspectives beaucoup plus larges et que nous avions intérêt à le valoriser, tant le potentiel industriel de ces technologies est vaste. Nous nous sommes donc alliés au groupe Fives, dont l’expertise en solutions industrielles n’est plus à démontrer, afin de devenir l’un des acteurs mondiaux de l’impression 3D métallique. Ainsi est né, au printemps 2016, Fives Michelin Additive Solutions. Encore une pépite de la région Auvergne-Rhône-Alpes !

BrefEco : On pourrait poser la même question au sujet de votre entrée au capital de SymbioFCell, fabricant de piles à combustibles... Et, d’une façon plus générale, de l’intérêt que vous portez aux start up, en France mais aussi en Chine, aux Etats-Unis ou en Afrique.

Jean-Dominique Senard : La créativité est le nerf de la compétition mondiale. Nous ne sommes plus au temps de la R&D fermée : la collaboration et les synergies sont indispensables. Aussi, nous investissons dans des start-ups que nous aidons à grandir de sorte que les produits et services qu’elles développent trouvent un marché propre ou viennent compléter nos offres existantes. Cet axe est au cœur de notre dynamique d’innovation et prolonge nos efforts de R&D internes qui mobilisent 6000 collaborateurs et près de 800 millions d’euros par an.

Symbio Fcell est un bon exemple. Michelin travaille sur les solutions de mobilité qui font appel à l’hydrogène depuis les années 2000. Après avoir capitalisé un savoir-faire important dans ces technologies, nous avons décidé d’aller plus loin et donc investi en 2014 dans cette start-up pionnière de la pile à combustible et inventeur du premier prolongateur d’autonomie pour véhicules hybrides. Il y a un an, Engie nous y a rejoint. 

BrefEco : Vous avez racheté aussi, en Chine, un service de voiturier ? Michelin est-il en train de devenir une société de services ?

Jean-Dominique Senard : Michelin a toujours été une entreprise de services ! Le guide Michelin qui délivrait en 1900 les adresses de choix pour dépanner son véhicule, se restaurer ou trouver un téléphone, prouve que les fondateurs du groupe Michelin ne pensaient pas qu’à concevoir les meilleurs pneus du monde ! Notre stratégie actuelle s’inscrit dans cette vision : être à la pointe de la technologie dans notre cœur de métier et saisir toutes les occasions d’être plus fréquemment en contact avec nos clients. En proposant des solutions qui combinent le pneumatique et un service associé, nous proposons une expérience de mobilité complète et à forte valeur ajoutée, qu’il s’agisse de services de maintenance prédictive comme dans le cadre de l’offre Michelin Tire Care pour les poids lourds ou du « valet parking » proposé par la start-up chinoise eDaiBo dans laquelle nous avons investi en 2015. L’opposition traditionnelle production industrielle / services est clairement dépassée. 

BrefEco : Ces mouvements dénotent une vraie volonté d’ouverture de la part d’un groupe longtemps décrit comme fermé. L’innovation est-elle désormais nécessairement collaborative ?

Jean-Dominique Senard : L’écosystème d’innovation que nous avons mis en place est directement inspiré par la logique d’ouverture, afin d’aller chercher là où elles se trouvent les idées qui feront notre compétitivité de demain. Cet écosystème est constitué de communautés d’innovation, dont le Centre de Technologies de Ladoux est le point nodal : startups, partenariats universitaires, incubateurs internes sont des atouts de notre leadership technologique mondial. Dans le nouveau Campus de la Recherche, nos chercheurs travaillent en équipe projet sur des plateaux de 300 m2. L’open innovation est une respiration indispensable pour un grand groupe industriel tel que le nôtre. Michelin est fier d’avoir réussi cette politique d’ouverture, qu’illustrent par exemple nos 300 partenariats de recherche par an à travers le monde. 

BrefEco : Dans le grand public, Michelin, ce sont aussi les cartes et les guides touristiques et gastronomiques. Vous avez d’ailleurs racheté, à l’étranger, plusieurs sites de réservation en ligne de restaurants. Quelle place cette activité tient-elle dans la stratégie de Michelin ?

Jean-Dominique Senard : C’est une place de choix car ces sélections touristiques et gastronomiques nous permettent de mettre la marque Michelin dans le quotidien de nos clients. Sur les supports digitaux ou papier, les guides proposent des adresses de choix, vérifiées par nos experts et notées à l’aune de critères définis. A l’heure où chacun émet son avis sur les réseaux sociaux, ils sont une source fiable pour réussir son expérience gastronomique ou touristique. 

Les récentes acquisitions que nous avons menées dans ce domaine visent d’une part à faciliter la réservation en ligne de nos clients, geste désormais familier et d’autre part à asseoir notre position de leader mondial : près de trois milles étoiles des 30 éditions du guide Michelin brillent internationalement et sont la référence des clients comme des Chefs. 

BrefEco : En quoi la révolution digitale impacte-t-elle Michelin ?

Jean-Dominique Senard : La digitalisation constitue pour Michelin, comme pour toute grande entreprise, un faisceau de formidables opportunités : enrichissement en services, amélioration de l’expérience client, accès des données en temps réel, personnalisation des offres... Le pneu est aujourd’hui un concentré de hautes technologies. Bien exploités, nos pneumatiques peuvent fournir une mine d’informations à leur utilisateur et contribuer à la fois à de meilleures performances du véhicule mais aussi à réduire de nombreux frais. 

J’ai créé le poste de directeur des activités digitales il y a 18 mois. Les membres de son équipe se comptaient sur les doigts d’une main lorsqu’il a rejoint Michelin. Aujourd’hui ils sont plus de 300 (...).  

BrefEco : Coté en bourse, Michelin peut-elle être encore considérée comme une société familiale ?

Jean-Dominique Senard : Michelin est un groupe familial au sens où il a des valeurs et une vision de long terme. La recherche de création de valeur pour nos clients comme pour nos actionnaires est au cœur de nos décisions mais celles-ci ne sont jamais court-termistes. Elles s’inscrivent dans la durée. Nous sommes à mi-chemin d’un plan stratégique établi pour 4 ans (2016-2020). Quant à nos engagements de réduction de l’empreinte environnementale du Groupe, nos objectifs ont été établis à l’horizon 2030 et 2050. Michelin prouve qu’il est possible de combiner performance, responsabilité et durabilité sans rien sacrifier. 

BrefEco : L’histoire de Michelin est intimement liée à celle de Clermont-Ferrand... à moins que ce ne soit le contraire. A l’heure de la mondialisation, est-ce un atout ou une faiblesse d’être le seul groupe du CAC 40 dont le siège est en province ?

Jean-Dominique Senard : Indéniablement, c’est un atout ! Le berceau de Michelin, c’est Clermont-Ferrand et nos récents investissements tant dans notre impressionnant Campus de la Recherche que dans l’aménagement de notre siège social, place des Carmes, démontrent que nous entendons affirmer notre présence clermontoise. Cet héritage nous porte et ne nous empêche pas de nous déployer à l’international avec énergie et réussite. Aujourd’hui notre chiffre d’affaires en Europe, en Asie et aux Amériques est assez équilibré ce qui prouve notre capacité de conquête des marchés mondiaux. Toutefois, nous sommes fiers d’affirmer que la force d’innovation de Michelin est largement concentrée à Clermont-Ferrand. 

BrefEco : Les effectifs globaux de Michelin dans le bassin clermontois baissent depuis des décennies. Quel est l’avenir, en France, d’une activité industrielle comme la vôtre ?

Jean-Dominique Senard : L’avenir des sites industriels de Michelin en France dépend de leur compétitivité et nous accomplissons un travail considérable pour la rétablir. Depuis 2014, Michelin a stabilisé ses effectifs industriels en France avec 10 000 salariés sur 20 000 salariés environ. Ce résultat a été obtenu grâce à un programme très innovant de compétitivité comprenant des investissements considérables pour accompagner la montée en gamme de nos productions et la spécialisation de nos sites. Michelin est aujourd’hui le premier employeur de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

BrefEco : Que peut attendre le groupe Michelin de la construction de la nouvelle Région Auvergne-Rhône-Alpes ? Vous qui avez un emploi du temps très dense, pourquoi avoir accepté la co-présidence de la nouvelle l’Agence économique régionale ?

Jean-Dominique Senard : Je crois à l’engagement des entreprises privées dans les écosystèmes publics. Nos élus sont prêts à entendre la voix des entrepreneurs pour peu que ceux-ci prennent le temps d’expliquer leurs besoins, leurs aspirations et leurs difficultés. Les sites industriels, de recherche et de décision du groupe Michelin doivent être intégrés à leur environnement économique et politique. Ainsi, la co-construction est possible et fait grandir le territoire. 

Prenons l’exemple de la démarche “Cluster”, au cœur du projet « Zéro Emission Vallée » en région Auvergne-Rhone-Alpes. Elle est pertinente car elle œuvre pour le développement économique de la région en rassemblant acteurs industriels et collectivités aux côtés de la région. Ce projet ambitieux peut faire de la région Auvergne-Rhône-Alpes le champion européen d’une mobilité zéro émission. 

BrefEco : Michelin est un gros consommateur d’hévéas, « l’arbre à caoutchouc ». Comment diminuer votre empreinte écologique dans un monde qui produit de plus en plus d’automobiles ?

Jean-Dominique Senard : Nous savons que les besoins de mobilité vont croître. En parallèle, les contraintes sur les ressources naturelles et la planète ont atteint un point critique. Il nous faut donc accompagner la croissance du parc automobile mondial en maîtrisant son impact environnemental. Pour cela, Michelin mise sur l’innovation technologique afin de résoudre, à son niveau, cette redoutable équation. Il s’agit de la première préoccupation du Corporate Innovation Board, que je préside et qui valide les choix de recherche et l’allocation des moyens. Nous investissons dans toutes les étapes de la vie du pneu, de sa conception à sa destruction en passant par son usage pour nous rapprocher des principes de l’économie circulaire appellée 4R : Réduire, Réutiliser, Recycler, Renouveler. Cela signifie par exemple développer le recyclage de nos pneumatiques, fabriquer du caoutchouc synthétique à l’aide de biomasse ou développer des solutions de sobriété, telles que l’impression 3D proposée dans le pneu Vision.

BrefEco : Michelin a adhéré au Pacte Mondial des Nations Unies. En quoi cela vous engage-t-il ?

Jean-Dominique Senard : Michelin a adhéré en 2010 au Pacte Mondial, qui réunit des entreprises engagées en faveur du développement durable. Cette adhésion signifie que Michelin conduit une politique de développement durable tangible. Nous sommes une entreprise responsable, parce que nous sommes convaincus que nos activités ne seront durables que si elles sont responsables. Cette conviction dépasse le Pacte Mondial. Elle nous a conduit à prendre des engagements chiffrés à l’occasion de la COP21 : réduire de 20% d’ici 2030 l’empreinte carbone de nos pneumatiques, en jouant sur toute leur durée de vie, depuis les matières premières jusqu’au recyclage (...).

Extrait du Hors-Série « Les Champions de l'économie régionale » - novembre 2017

 

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