L’actualité du Musée des Tissus, dont l’avenir se jouera dans les prochains mois (lire page 8), nous rappelle l’importance de Lyon dans l’émergence de quelques industries majeures. C’est le cas de la chimie que la famille Gillet a dominé pendant plus d’un siècle. Depuis la création par François Gillet d’un modeste atelier de teinture pour soie en 1838, le groupe familial est devenu une galaxie de sociétés centrée sur le textile artificiel, avant d’être démantelée à partir des années 1960. C’est le sujet d’un remarquable ouvrage présenté la semaine dernière par son auteur Hervé Joly*, lors d’une conférence organisée par l’Institut Confluences en présence de Philippe Desmarescaux, ancien directeur général de Rhône-Poulenc.
Le nom de Gillet n’évoque plus grand chose pour les jeunes générations lyonnaises, à part peut-être le nom d’un quai de Saône et celui d’une ancienne maison familiale de la Croix-Rousse devenue centre de culture contemporaine, la Villa Gillet. Et pourtant ! Même si le groupe familial constitué au fil des décennies est d’une complexité à décourager les financiers les plus avisés, il restera comme un acteur majeur de l’histoire française du textile. Le seul CTA (Comptoir des Textiles Artificiels) employait 12 000 personnes, en 1950, dans quatorze usines. Dix ans plus tard, quand il passe à 100 % sous la coupe des Gillet, il contrôle la quasi-totalité de la production nationale de tissus synthétiques.
Parmi les autres filiales ou participations, il faut citer la Rhodiaceta et la Tase (la plus importante usine française de textiles artificiels lors de sa construction à Vaulx-en-Velin). Le conglomérat et ses dizaines d’entités ont marqué le paysage industriel de la région lyonnaise mais aussi de la vallée du Rhône, de Grenoble (Pont-de-Claix), Roanne ou Chambéry. Il se montrera aussi dans des secteurs aussi divers que la papeterie (Cellulose du Pin, Condat), le film plastique (La Cellophane) ou l’agroalimentaire (la Blédine à Villefranche).
La longévité (cinq générations) du groupe Gillet a été exceptionnelle. Tous les fils y ont été intégrés, ainsi qu’une partie des gendres, avec des managers à chaque génération qui ont tous eu des carrières très longues. “La famille donne du temps, de la constance, de la persévérance, ce qui est la clé de la réussite sur le long terme. Il faut encourager le capitalisme familial”, insiste Philippe Desmarescaux. Mais les Gillet ont fini par jeter l’éponge. Sa branche textile (Celtex) puis la chimie (Progil) seront cédées à Rhône-Poulenc dans les années 1960.
C’est alors le chant du cygne pour une dynastie qui sortira bientôt du jeu industriel avec la vente des derniers bijoux : ses teintures au groupe Chargeur de Jérôme Seydoux, la banque d’affaires Morin-Pons à la Dresdner. “Dès le début des années 1960, le rendement du capital a beaucoup baissé. Faire de l’industrie ne rapportait plus rien. La décolonisation et la concurrence des pays européens ont fait le reste. De nombreuses entreprises familiales n’ont pas survécu”, analyse Hervé Joly.
Epoque révolue, donc. Dans la chimie, le temps des conglomérats a disparu, l’heure est à spécialisation. En décembre, on apprenait que Sanofi, le plus grand employeur privé de Lyon, envisageait de se séparer des activités de santé animale de sa filiale Merial. Une autre page se tourne.
Didier Durand
@didierldurand
* “Les Gillet de Lyon, fortunes d’une grande dynastie industrielle (1838-2015)” ; éd. Droz ; 2015 ; 512 pages.
Bref Rhône-Alpes Auvergne n° 2232 du 03/02/2016
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