La fontaine aux financements des clusters régionaux s’est brusquement tarie. L’Union européenne a fait savoir que les Prides (Pôles régionaux d’innovation et de développement économique solidaire), ces réseaux d’entreprises qui sont le socle de la politique économique de Paca, ne pouvaient être subventionnés à de telles hauteurs. Les fonds Feder sont bloqués, et la Région cherche désespérément une solution rapide, car sans trésorerie ni versement des salaires, les 29 clusters régionaux s’effondreraient vite.
"Les Prides, formidables outils pour les entreprises", affiche le site Internet de la Région Paca. Ils sont 29, regroupés par secteur d’activités, issus de la politique de clusters du Conseil régional. Idée à succès de la Direction régionale de l’Economie, elle consistait en 2005 à financer une association menant des actions collectives pour le compte d’entreprises d’un secteur cohérent. Ces "pôles de compétitivité régionaux" vont à l’international avec des PME qui n’osaient pas rêver de marchés extérieurs, organisent des événements et procurent tous les avantages liés aux réseaux pour les entreprises qui, souvent, n’ont pas les moyens d’un lobbying.
Brassant large, de l’aéronautique à la parfumerie en passant par le bois et les énergies renouvelables, ils emploient près de 200 animateurs et captent plus de 12 millions d'euros de subventions par an… Mais ce chiffre va devoir être divisé par deux et, aujourd’hui, la plupart des présidents et directeurs de Prides se demandent s’ils ne vont pas devoir licencier, tout en freinant des quatre fers leur politique d’animation.
Tout est parti d’un contrôle de la Direction générale régions de l’UE voici cinq mois en Champagne-Ardennes. Les contrôleurs s’étonnent qu’un cluster régional y reçoive 80 % d’aides publiques, dont des fonds Feder. Alerté, le ministère de l’Intérieur informe le 8 novembre 2011 les préfets de Régions qu’il existe un risque d’irrégularités, "et demande que la programmation des dossiers Feder soit suspendue, au-delà de 50 % d’aides publiques", rappelle Christophe Castaner, vice-président de Paca, délégué à l’Emploi et au Développement économique.
"Du jour au lendemain, notre budget a été virtuellement amputé de sa moitié européenne", se désole Martine Didier, du Prides Ea, "et la Région nous a demandé de revoir nos actions pour ne pas engager les crédits européens, qui de toute façon n’arrivent plus", nous confirme la directrice de ce cluster, dont l’annuaire de 150 entreprises fait voisiner Veolia avec des TPE. Question angoissante, comment faire baisser au pied levé un budget de 30 % sans recourir aux licenciements ?
D’autres, comme Pop-Sud (photoptique), un pionnier provençal en matière de cluster, préfèrent s’abstenir de tout commentaire, en attendant de connaître la fin de l’histoire. Le pôle Pégase (aéronautique) ne répond pas plus. C’est que les enjeux financiers peuvent être importants, voire imposants, puisque de nombreux Prides attendent en fait des paiements de fonds Feder, qui doivent régler des dépenses engagées en 2010, et même en 2009.
Déjà, les contrats d’objectifs Région-Prides ont été jetés aux orties dès décembre 2011. Plus question d’engager d’actions collectives qu’on ne saurait comment payer. La Région a d’abord accusé le coup, elle ne pouvait plus verser 6 millions d'euros de Feder attendus par les Prides, elle a donc voté 3,7 millions d'euros en compensation provisoire, sans pouvoir toutefois dire quels programmes elle déshabillerait pour cela.
L’encore modeste mais ambitieux Prides Bois et construction, lui, avec ses 600 000 euros de budget, ne s’inquiétait pas plus qu’il ne faut quand nous avons interrogé son directeur, Hervé Heiderich. Le Prides, logé à La Bastidonne (Vaucluse), cherche son salut dans un statut d’interprofession qui lui permettra de capter une partie de la taxe carbone payée par les exploitations forestières en France. Et la subvention régionale, pensait M. Heiderich, pourrait être finalement sauvée. "Avec la règle de minimis, nous pourrions nous en sortir, car nous avons peu reçu d’aides publiques ces trois dernières années", ajoutait-il.
Seulement, depuis, cette solution s’est évaporée. Ce calcul compliqué qui tient compte des aides déjà versées et de maximas à ne pas dépasser, Christophe Castaner pensait également pouvoir l’utiliser, et invoquer aussi les déclarations d’urgence pour trésorerie défaillante des Prides. La Datar avait, le 6 février par une circulaire, assuré que c’était possible.
Las ! Tout début mars, l’UE annonce à l’Etat une suspension de tous les versements Feder aux Régions pour cause d’erreur systémique. Réaction de Christophe Castaner : "Nous avons fait remonter à la Datar par les services de l’Etat une proposition de procédure sécurisée de paiement de tous les soldes 2009-2010. Nous attendons une réponse pour payer les Prides", espère-t-il.
En fait, le plan imaginé par la Région au pied levé consisterait à engager dès le 30 mars 5,5 millions d'euros pour permettre aux Prides de faire face dans l’immédiat, avec une trésorerie qui leur permette de tenir le coup. Pour cela, Paca ferait l’avance de fonds Feder qu’elle n’est plus autorisée à verser, et que son Pôle régional aux Affaires européennes retient actuellement. Dans les 29 Prides, les managers retiennent leur souffle : la somme est attendue comme une bouée par un naufragé qui sombre. En effet, sans elle les salaires ne pourraient être versés. "Ils ont raison de s’inquiéter, nous vivons une crise", reconnaît Christophe Castaner.
Pris par le temps, dans un dossier "où on hésite à affirmer quelque chose de définitif tant on nous a asséné les mauvaises surprises", la Région a passé contrat avec deux sous-traitants financiers, pour sécuriser un tant soit peu le parcours de ce gymkhana administrativo-réglementaire. Equidisto (Montpellier) va certifier les dépenses des Prides en 2009-2010 afin de pouvoir verser les sommes correspondantes. Le cabinet d’avocats Charrel (Marseille) va, lui, vérifier que les réactions de la Région sont compatibles avec la réglementation européenne.
Au moment où ces lignes seront publiées, de nouveaux rebondissements auront peut-être eu lieu. En effet, le 19 mars, le DGS de la Région, Didier Lauga, devait recevoir l’ensemble des présidents de Prides, et des structures régionales d’aide à l’innovation, également concernées. Qu’en sortira-t-il ? Sans doute aura-t-on alors évoqué, au-delà d’éventuelles solutions immédiates, les relations nécessairement changées entre l’institution et les clusters dont il a encouragé la naissance. Christophe Castaner évoque la possibilité de remplacer demain une partie de la subvention publique par des marchés publics passés par la Région pour l’animation des clusters. En attendant une victoire espérée de la gauche au mois de mai, qui ouvrirait la perspective d’une renégociation des règles communautaires, un espoir de M. Castaner, afin que l’UE "ne considère pas l’aide à la mise en réseau des entreprises comme une aide directe aux entreprises".
Michel Neumuller
Photos : ©M. Neumuller. Hervé Heiderich (directeur du Prides Bois et construction) et Christophe Castaner (vice-président de Paca, délégué à l’Emploi et au Développement économique).
Sud Infos n° 778 du 19/03/2012