Pour Guillaume Bourdon, l'après-Covid marquera l'entrée dans un nouveau monde. Selon lui, "on finira par arrêter d’acheter des chaussures venant d’Asie"
Chef d’entreprise (*), Guillaume Bourdon préside aussi le bureau lyonnais de l’association Second Souffle, qui se donne pour mission de soutenir les dirigeants dont la société est en difficulté. Une situation qui pourrait bien se multiplier dans les semaines à venir et être fatale à de nombreuses petites entreprises. Rencontre.
Bref Eco : Comment avez-vous réagi à la nouvelle du confinement ?
Guillaume Bourdon : Dès l’annonce du lundi 16 mars, nous avons pris les premières mesures dans l’entreprise et, dès le mardi, nous avons fermé nos bureaux. Nous avons immédiatement demandé à notre propriétaire de repousser le paiement du loyer, ce qu’il a accepté.
Bref Eco : Drôle de réflexe…
Guillaume Bourdon : L’expérience, sans doute… J’ai déjà connu des difficultés : il y a quelques années, ma précédente entreprise a été liquidée par le Tribunal de commerce. Lorsqu’une crise importante arrive, comme celle du Covid-19, il faut savoir hiérarchiser les priorités : gérer les urgences, poursuivre les activités, puis préparer l’avenir. Nous avons pu agir rapidement : revoir notre plan de trésorerie, demander des reports d’échéances, remplir une demande de PGE (Prêt Garanti par l’Etat)…
Bref Eco : A titre personnel, comment vivez-vous le confinement ?
Guillaume Bourdon : A vrai dire, pas trop mal. Immédiatement, la fameuse « solitude du dirigeant », que notre association Second Souffle ne cesse de combattre, est apparue là, comme une évidence… et une norme. On en avait beaucoup parlé et, cette fois, on y était. Mais bizarrement, je me suis senti moins seul, sachant tout le monde dans la même situation.
Bref Eco : En cette période difficile, on imagine que vous recevez beaucoup de chefs d’entreprise en perdition chez Second Souffle ?
Guillaume Bourdon : Curieusement, non ! Beaucoup ont été rassurés par les mesures gouvernementales. Mais attention, les banques n’accepteront pas tous les PGE. Et d’ici peu, les trésoreries les plus tendues ne tiendront plus. C’est sûr, il va y avoir de la casse, même si on ne sait pas exactement quand. Dans ces circonstances, chaque entrepreneur est singulier. Chacun réagit différemment ; on est dans l’humain, on est tous différents dans la gestion de nos émotions, dans la réaction face au danger, au stress.
Bref Eco : Cette fois, on a cependant l’impression que les dirigeants ont moins peur de parler de leurs problèmes.
Guillaume Bourdon : Parce que tout le monde est dans le même bain ! Il n’y a plus de rôle, plus de masque, il y a moins de déni. On se sent sans doute moins honteux que lors d’un dépôt de bilan causé par nos erreurs. Là, c’est différent : on n’est pas les seuls à subir un choc extérieur. Mais quoi qu’il en soit, la situation est très dure à gérer psychologiquement. Les entrepreneurs sont nombreux à ne pas savoir par quel bout prendre les problèmes. Et commencent à paniquer. Je suis très soucieux pour ceux dont l’activité a cessé totalement du jour au lendemain : les hôteliers, restaurateurs, etc.
On sous-estime trop souvent notre capacité à rebondir
Bref Eco : Voyez-vous du positif dans ce qui arrive ?
Guillaume Bourdon : Ce qui me surprend toujours, dans ces périodes très difficiles, c’est la résilience des gens. On sous-estime notre capacité à rebondir. Même au fond du trou, on est capable de trouver de nouvelles ressources. Je l’ai vécu et l’ai vu chez d’autres. Et puis je suis plutôt optimiste quand je vois l’altruisme dont les gens sont capables !
Bref Eco : Vous êtes de ceux pour qui « plus rien ne sera comme avant » ?
Guillaume Bourdon : Je pense qu’on va entrer dans un autre monde. Certes, la relocalisation de pans entiers de l’industrie, comme l’automobile par exemple, est très compliquée. En revanche, je crois beaucoup à la montée en puissance de petites structures locales, comme ces nouveaux fabricants de baskets écoconçues made in France. On finira par arrêter d’acheter des chaussures venant d’Asie. L’économie du local et de l’utilité sociale va prendre de la vigueur. Je rêve que dans l’après-covid, on mette en place un ministère du Sens qui interrogerait en permanence l’économie, le sens des choses, les priorités. Des entreprises le font déjà, à leur niveau. Elles ont un boulevard devant elle.
* Zoom sur Guillaume Bourdon
Guillaume Bourdon dirige, avec Laurent Pillot, la société Ergon’Homme qui accompagne les entreprises dans leurs projets de transformation, de développement, d’innovation.
Il a également créé, en décembre 2019, la société Les Traducteurs qui crée, pour les entreprises, des objets et environnements de travail « connectants » : son premier objet, destiné à améliorer la qualité des réunions, est une « table de dialogue ».
Il est aussi co-créateur, avec l’entreprise de menuiserie Ateliers Garnier (Beynost/Ain), de La Ligne Vertuose : une gamme de mobilier sociale et responsable. Uniquement constitués de chutes de bois mélaminé, les meubles ainsi créés sont assemblés par des jeunes issus des missions locales ou de l’association du Prado.
Cet article a été publié dans le numéro 2411 de Bref Eco.