L’appel au grand public pour financer des œuvres ou des entreprises ne date pas d’hier. Mozart avait lui-même organisé des souscriptions pour monter des spectacles. De même, des auteurs des XVIIIème et XIVème siècles préfinançaient leurs ouvrages (le célèbre Tom Sawyer, de Mark Twain). Sans oublier la construction de la Statue de la Liberté, payée par 160 000 contributeurs ! Mais la généralisation du web 2.0, ajoutée à une crise de 2008 qui a fortement écorné l’image du système bancaire, a fait passer le crowdfunding sur le devant de la scène médiatique. Au-delà de l’effet de mode, où en est le financement par la foule ? C’est la question posée dans une étude récente de l’Observatoire Alptis*, sous la plume du chercheur universitaire Jérémy Vachet.
Fidèles lecteurs de Bref, vous vous en êtes aperçus : pas une semaine sans qu’une entreprise ne fasse appel au crowdfunding, indiscutablement en plein essor… même s’il reste encore très marginal à l’échelle macro-économique. Les fonds récoltés dans le monde sur les plateformes de financement participatif sont ainsi passés de 1,5 milliard de dollars en 2011 à 34,4 milliards en 2015 (en comparaison, le système bancaire engage environ 10 milliards de milliards de dollars). Et on annonce que le secteur atteindra les 1 000 milliards de dollars en 2020. La France, qui comptait 28 plateformes en 2012, en recense aujourd’hui 141 qui ont collecté 154 millions d’euros.
L’émergence du crowdfunding moderne répond à un certain nombre d’attentes. D’un côté, les financeurs ont le sentiment de savoir à quoi sert leur argent, de l’engager dans une économie de proximité, plus démocratique, sociale voire citoyenne. De l’autre, les entreprises y trouvent une solution alternative (sous forme de prêts, contreparties non financières, dons ou parts sociales) permettant de contourner le refus des banques. Mais au-delà des discours rassurants, le crowdfunding n’est pas sans inconvénient ni sans risque.
En effet, les souscripteurs n’ont guère d’informations sur la qualité et la viabilité des projets, si ce n’est à travers un clip et quelques messages pleins de belles promesses, destinés à convaincre et séduire. Les fonds apportés seront-ils utilisés à bon escient ? “Aucun contrôle n’est réalisé pour s’assurer que l’argent récolté est utilisé comme prévu”. La question du sérieux des projets, généralement de petite taille, innovants mais visant des marchés de niche, est clairement posée. L’étude Alptis fait allusion à “des projets d’entrepreneurs malgré eux, en reconversion ou en début d’activité, bien loin de l’image dynamique, motivée et enthousiaste d’un autre monde entrepreneurial”. A côté de quelques levées de fonds records et très médiatisées, combien de projets sans grand avenir reposant sur la seule confiance ? Beaucoup, sans doute, si l’on en juge par l’importance de la love money dans ces opérations de crowdfunding. “L’argent récolté n’est principalement pas le fait de bienfaiteurs anonymes, de mécènes inconnus mais de proches (…), de ceux qui aiment le porteur de projet et veulent le soutenir. Les amis, la famille sont les premiers à investir”. Une foule sentimentale en quelque sorte, comme dirait Souchon.
Didier Durand
@didierldurand
* “Le crowdfunding : mutation ou mirage pour l’entrepreneuriat ?” ; Observatoire Alptis de la protection sociale ; www.observatoire-alptis.org
Photo : ©Dowino 2014 - Grâce aux 43 000 euros récoltés sur Ulule, Dowino a pu lancer son jeu vidéo accessible aux non-voyants : "A Blind Legend"
Bref Rhône-Alpes n° 2225 du 02/12/2015
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