On l’avait laissé sur le départ dans le quartier de Confluence à Lyon. Exsangue. On le retrouve à la croisée d’une nouvelle aventure culinaire à Shanghai. Zen. Sans remords. Installé dans l’ancien logement de fonction d’un commandant de la marine chinoise qu’il a transformé en restaurant. A 42 ans, Nicolas Le Bec se dit “heureux”.
En août 2012, le chef étoilé avait brutalement coupé les ponts avec Lyon, abandonnant ses fourneaux et ses salariés de la Rue Le Bec et de son restaurant de la presqu’île. Sans préavis. Nicolas Le Bec explique aujourd’hui ce départ précipité par le désir de sa femme d’origine chinoise de revenir en Chine et par la rencontre avec des investisseurs de Singapour et de Taiwan, propriétaires du groupe Sinar Mas et du fabricant de pâte à papier Asia Pulp & Paper. Ils lui avaient fait une première proposition pour s’installer dans une tour en construction en bordure du Bund de Shanghai.
Mais après deux allers-retours sur place, Nicolas Le Bec a préféré rechercher un autre environnement, et a choisi de s’implanter en limite de l’ancienne concession française, avec le soutien de ces mêmes investisseurs. Dans une maison de style européen construite dans les années 1920, abandonnée depuis une dizaine d’années.
Il a fallu transformer de fond en comble cet ancien appartement de fonction militaire. “On a eu de la chance”, reconnaît le cuisinier qui a assuré la coordination d’un chantier chaotique, marqué par une fermeture administrative de quatre mois. Pendant cet intermède, il a pris son sac à dos pour faire son marché dans les campagnes auprès de futurs fournisseurs, chinant dans les moindres recoins pour dénicher les objets qui donneraient une âme à son bistrot. La fin des travaux a été prise en main par une équipe du génie, quarante militaires présents sur place jour et nuit durant cinq mois.
Villa Le Bec a ouvert en avril 2014. Depuis, le bistrot et la table d’hôte ne désemplissent pas. Des tables ont été ajoutées cet été en terrasse. 250 à 300 couverts sont servis chaque jour. Le restaurant de Nicolas Le Bec s’est vite fait un nom, sans publicité, par le truchement des réseaux sociaux. La clientèle est à 80 % asiatique. La famille Dumas a réservé la villa à titre privée à l’occasion de l’ouverture de la plus grande boutique Hermès à Shanghai. D’autres marques organisent des soirées VIP dans les salons et le jardin de cette maison de caractère.
Nicolas Le Bec travaille essentiellement en cuisine et en salle avec des jeunes qu’il doit former. Car, “ici, la cuisine n’est pas considérée comme un métier”, remarque-t-il. La Villa emploie 45 personnes. Autre particularité : la culture du goût n’est pas la même, la sauce de soja remplace le sel par exemple. A Shanghai, l’exotisme dans l’assiette, ce sont les produits européens. Les Chinois raffolent des escargots, des huîtres, des coquilles Saint-Jacques. 100 kilos de foie gras sont consommés chaque mois dans le restaurant. “Il y a toujours un bout de cochon sur la table”, signale le chef qui s’occupe personnellement de la carte des vins.
A Shanghai, Nicolas Le Bec a laissé sa déconvenue lyonnaise, “derrière”. “On est venu avec une valise vide, rien dans la poche. On n’est pas parti avec 5 millions. Pendant 18 mois, il a fallu faire manger la famille, ne pas perdre la face. On a utilisé nos réserves”, affirme le restaurateur d’origine bretonne qui apprécie le sens de l’hospitalité et la générosité des Chinois, autant que leur respect de la hiérarchie. Sans s’appesantir sur son passé, il explique à demi-mot son échec lyonnais par un trop grand appétit de projets, une croissance trop rapide. “Ici, vous oubliez tout”, observe-t-il.
En Chine, la patience est une vertu cardinale, Nicolas Le Bec l’a compris. “Il ne faut pas venir ici et se dire que c’est facile”, souligne-t-il. Pour son restaurant, il a signé un bail de dix ans avec l’armée, mais “cela peut s’arrêter à tout moment”… Prévoyant, il a créé une société d’import-export avec sa femme et vient d’ouvrir une boutique, un bar à vins à deux pas de sa villa. Le rêve asiatique prend forme.
Vincent Charbonnier (à Shanghai)
Bref Rhône-Alpes n° 2179 du 05/11/2014
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