Alors que la commission mise en place par le gouvernement pour passer au peigne fin les grands projets d’infrastructures de transport rendra son rapport au printemps, les partisans du projet de la "Nouvelle ligne ferroviaire" - nouvelle appellation de feue la LGV Paca - tentent de s’adapter à la nouvelle feuille de route financière et environnementale fixée par les pouvoirs publics.
"Si le dossier ne passe pas, on en prend pour 80 ans..." : lors d’un petit-déjeuner avec la presse économique, juste avant les fêtes de Noël, le préfet de Région Hugues Parant n’avait pas caché son inquiétude quant à l’avancement du projet de LGV Paca. Oups ! Pardon... de la "Nouvelle ligne ferroviaire" (NLF), nouvelle appellation du projet qui englobe désormais création d’une nouvelle ligne à grande vitesse entre Marseille et Nice et amélioration des dessertes locales (le réseau TER).
L’inquiétude préfectorale était fondée sur de multiples indices. Alors que le gouvernement a mis en place une commission pour passer au peigne fin les projets de grandes infrastructures de transport inscrits sur le calendrier du Snit (Schéma national des infrastructures de transport), le lobbying des élus sur ce dossier emblématique est loin d’être à la mesure de l’enjeu. Jean-Claude Gaudin, Hubert Falco, Eugène Caselli ont chacun à tour de rôle lâché l’an dernier des petites phrases annonçant l’enterrement du projet. Il n’en fallait pas plus pour conforter dans leur combat les associations de riverains, notamment dans le centre Var et dans la vallée de l’Huveaune, qui restent mobilisées contre l’aménagement de cette infrastructure.
Un brin fataliste, le représentant de l’Etat s’avouait même carrément "terrorisé" par l’attitude de ces associations alors que la fameuse commission "Mobilité 21" doit rendre son rapport en avril prochain au ministre des Transports. "Il est acquis que l’on n’a pas besoin de voyager à la vitesse de la lumière de Nice à Paris. L’important, c’est la régularité de la desserte", assurait Hugues Parant. Le 9 janvier, l’intéressé a eu l’occasion de marteler ce message à l’occasion de l’énième comité de pilotage censé dresser le point des avancées du dossier en 2012 (sic).
Déserté par la majorité des grands élus de la région - seuls Christian Estrosi et Michel Vauzelle étaient présents - ce Copil avait des allures de séance de rattrapage. A défaut d’un consensus politique, les membres du Copil ont pu se rassurer avec les résultats d’un sondage Ifop montrant que "82 % des habitants de la région soutiennent un projet de ligne nouvelle qui satisferait à leur besoin de mobilité quotidienne". Le communiqué de la préfecture et de RFF ne précisait pas toutefois si les personnes interrogées (qui résident dans les trois départements concernés) avaient été invités à se prononcer sur le tracé de cette fameuse ligne nouvelle...
Au delà de ce soutien de l’opinion, le Copil a été l’occasion de recalibrer le projet au prisme de la nouvelle grille d’analyse imposée par le gouvernement. En octobre 2012, lors de l’installation de la commission "Mobilité 21", le ministre des Transports Frédéric Cuvillier avait fixé le nouveau cap : la commission devrait "trier, hiérarchiser et mettre en perspective les grandes infrastructures". Et cette réflexion devrait se décliner en suivant une feuille de route plus franchement favorable aux projets de LGV puisqu’il s’agissait de veiller sur les "évolutions de services, en donnant la priorité aux transports du quotidien, à la rénovation des réseaux existants et l'amélioration à court terme du service rendu aux usagers". Le tout dans un cadre "réaliste sur le plan financier".
Le message a semble-t-il été parfaitement reçu à la préfecture de Région. Exit la LGV Paca qui laisse la place à la "Ligne nouvelle ferroviaire", un projet global mariant "liaisons rapides entre les métropoles de l’arc méditerranéen" et "satisfaction des besoins de déplacements du quotidien". Et pour que le projet apparaisse encore plus rutilant aux yeux des experts de commission Mobilité 21, les membres du Copil ont ajouté une pincée de préoccupations environnementales en rappelant que "le projet devait prendre en considération le développement de l’intermodalité des gares de la ligne nouvelle avec les autres réseaux de transports (TER, tramways, parkings relais…), ainsi que le transport de marchandises".
Quant à la question cruciale des financements, une équation clef pour un projet que les premières estimations chiffraient à plus de 15 milliards d’euros, là encore, les membres du Copil semblent avoir entendu l’appel au réalisme du gouvernement : ils ont ainsi "adopté le principe d’un phasage de la réalisation de la ligne nouvelle en différentes tranches fonctionnelles, à dimensionner en cohérence avec les capacités contributives des co-financeurs". En clair et sans décodeur, plus question de se lancer dans un chantier pharaonique qui imposerait le percement d’une soixantaine de kilomètres de tunnels dans l’arrière-pays et dans les zones urbaines... Il s’agit désormais de "privilégier le démarrage de cette ligne simultanément à partir des deux agglomérations niçoise et marseillaise". A charge pour RRF, maître d’ouvrage de cette opération de réaliser les études permettant de déboucher "dans les prochaines semaines" sur "des propositions consensuelles".
Ce recalibrage suffira-t-il à convaincre les membres de la commission Mobilité 21 ? Réponse au printemps prochain... Conscientes du risque d’enlisement, les chambres de commerce de la région, réunies sous la bannière de la CCIR, ont décidé de remettre un coup de pression (voir encadré ci-dessous). Dans un communiqué publié le 21 janvier, les acteurs économiques jugent "indispensable un consensus fort et audible des élus et de la société civile en faveur de ce projet qu'elles considèrent comme vital pour l'avenir du territoire". Un appel qui a le mérite de la constance... mais qui, a contrario, met en exergue le talon d’Achille de ce projet en mal de soutien politique fort.
William Allaire
Les CCI de la région Paca ont décidé de mobiliser les partenaires locaux, régionaux et nationaux, pour défendre le projet de NLF (Nouvelle ligne ferroviaire) devant la Commission "Mobilité 21", qui doit rendre son rapport en avril prochain au ministère des Transports. Elles jugent indispensable un consensus fort et audible des élus et de la société civile en faveur de ce projet qu'elles considèrent comme vital pour l'avenir du territoire. Dans un communiqué commun, elles appellent donc tous les acteurs à se mobiliser "en impulsant des actions fortes à toutes les échelles, territoriale, régionale et nationale, impliquant toutes les parties intéressées". Au cours des trois mois à venir, le réseau des CCI de Paca engagera par ailleurs des démarches auprès des élus locaux et des acteurs socio-économiques, du Comité de pilotage de la NLF, des parlementaires et de la Commission. Menacée d’être exclue des projets prioritaires du Schéma national de mobilité durable (SNMD), la LGV Paca fait place à la NLF Paca, un nouveau concept d’aménagement intégré qui devrait convaincre la Commission désignée par l’Etat pour réexaminer le dossier.
Les élus des CCI mettent en avant les atouts de cette nouvelle version jugée plus équilibrée et progressive, au rang desquels un financement réaliste et réalisable, le parti-pris de ne pas imposer la très grande vitesse à tout prix sur toute la ligne, un phasage des opérations (première période 2018-2028) centré sur la réponse rapide aux besoins quotidiens des habitants et des entreprises ainsi que le maintien à long terme de l’objectif d’un arc ferroviaire méditerranéen performant, doublant la ligne historique littorale.
Sans oublier le désengorgement prioritaire des nœuds ferroviaires "est" et "ouest" que permettra ce projet vu comme la clef de voûte indispensable des futurs réseaux multimodaux de transports urbains des deux métropoles étendues de la région. Le phasage de la NLF défendu par les CCI de Paca donne la priorité à la traversée de Marseille en tunnel avec une gare à quatre voies à quai sous Saint-Charles, à la 4ème voie dans la Vallée de l’Huveaune et à une ligne nouvelle de l’Est Var à l’Aéroport Nice Côte d’Azur. Soutenue à 80 % par les habitants de la région, selon un sondage Ifop, la NLF Paca devrait coûter 7,4 milliards d'euros sur dix ans (2018-2028), avec des capacités d’autofinancement de 30 à 50 % des investissements, et faire gagner une heure sur le trajet Marseille-Nice.
Maryline d'Asciano
Sud Infos n° 812 du 28/01/2013