Stefano Chmielewski n’est pas content. Dans le cadre d’une commande d’Etat portant sur une importante flotte de camions militaires, Renault Trucks, le groupe qu’il préside, vient d’être écarté au bénéfice du constructeur italien Iveco (associé au carrossier français Lohr). Le dirigeant s’est fendu d’une longue tribune dans le journal Les Echos du 30 décembre, rappelant l’idée du “fabriqué en France” que défendait récemment Christian Estrosi, alors ministre de l’Industrie.
Alors, mauvais joueur, protectionniste “malvenu”, Stefano Chmielewski ? L’homme rappelle simplement quelques vérités : son groupe, certes détenu par le suédois Volvo, occupe 10 000 personnes en France (plus des deux tiers de ses effectifs) ; il a des racines centenaires en Rhône-Alpes (Berliet, Saviem) ; il est fortement engagé au sein du pôle de compétitivité Lyon Urban Truck & Bus ; il a investi 800 millions d’euros en trois ans sur ses sites français, en particulier ceux de Vénissieux et de Bourg-en-Bresse ; il fait partie des trente premiers exportateurs français et porte haut un sigle en forme de losange synonyme de “made in France”. Voilà quelques arguments qui, aux yeux de l’Etat, auraient pu peser davantage face à la sacro-sainte concurrence internationale avancée par le ministère de la Défense qui n’hésite pas à tirer une balle dans le pied de l’industrie française.
Un autre dossier suscite l’interrogation. La semaine dernière, nous évoquions le plan social de Photowatt qui va supprimer une centaine d’emplois sur son site de Bourgoin-Jallieu où sont fabriqués plaques de silicium et systèmes photovoltaïques. Certains politiques (Jean-Jack Queyranne, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Fioraso…) se sont empressés de présenter cette mesure comme une conséquence du moratoire annoncé par le gouvernement sur le photovoltaïque. Mais une autre explication peut être évoquée : le propriétaire de Photowatt, le canadien ATS Automation, cherche depuis longtemps à vendre sa filiale et n’a donc guère envie d’y investir massivement. D’où une perte de compétitivité aujourd’hui pointée du doigt. Les difficultés de Photowatt, précurseur du photovoltaïque en France, sont symboliques d’une filière qui se cherche et d’un Etat dont la politique industrielle fait du yoyo. Car, si le gouvernement continue d’afficher sa volonté de développer une “filière industrielle d’excellence dans le photovoltaïque”, en s’engageant d’ailleurs fortement sur certains dossiers (Ines à Savoie Technolac, PV Alliance à Bourgoin), on se demande pourquoi le FSI (Fonds stratégique d’investissement), censé intervenir en fonds propres dans des entreprises jugées stratégiques pour le pays, n’a pas encore levé le petit doigt sur le dossier Photowatt. Lui ou d’autres grands opérateurs (EDF par exemple) auraient ainsi contribué à l’édification de cette industrie d’avenir sans laquelle les aides fiscales à l’installation de panneaux solaires continueront de profiter aux Chinois.
Les exemples de Renault Trucks et de Photowatt, deux fleurons rhônalpins, illustrent des contradictions gouvernementales regrettables qui se traduiront, à court terme, par la perte de plusieurs centaines d’emplois industriels.
Didier Durand
Bref Rhône-Alpes n° 2020 du 19/01/2011
Photo : Stefano Chmielewski, président de Renault Trucks.