Après le retour réussi en fanfare de Bernard Tapie dans le dossier des journaux du Groupe Hersant Média (GHM), les journalistes des quotidiens concernés, La Provence, Nice Matin et Var Matin pour notre région, sont réputés très inquiets. Vérification auprès de la rédaction du navire amiral du groupe : La Provence.
"En tant que journaliste, nous sommes très bien placés pour savoir que, parfois, il ne faut pas se confier à nos confrères." Le journaliste qui concède cela, après quelques hésitations, n’est pas un volatile de l’année. Parmi les interviewés quant à l’arrivée de l’ancien patron de l’OM comme meneur de jeu dans les rédactions, aucun n’a accepté de voir son nom cité. Un parmi eux a même parlé "off-off". C’est dire la prudence qui règne à l’idée d’être repéré par un futur patron réputé brutal. Pour l’un d’entre eux, déjà ancien dans la maison, les choses sont claires : "Les journalistes sont catastrophés, mais pas seulement, il y a de l’inquiétude dans tout le personnel." Pour un autre encore plus ancien, la situation est plus complexe : "L’inquiétude varie beaucoup avec l’âge. La rédaction est aujourd’hui très jeune et elle était très anxieuse à l’idée d’un redressement judiciaire du groupe avec une vente à la découpe. Les jeunes journalistes s’inquiétaient vraiment de leur avenir dans une presse écrite en crise. L’arrivée de Tapie et ses annonces d’investissements de 40 à 50 millions d'euros, les a rassurés." Un autre, signature reconnue, confirme l’effet générationnel. "Pour les gens de 25-30 ans, Tapie c’est la marionnette des Guignols, le lointain souvenir d’un gars qui a ramené une Coupe d’Europe, et qui a réussi un très joli coup financier. C’est plutôt sympa."
Au-delà des questions de génération, la spécialité exercée a son importance : "Pour un journaliste politique, un investigateur ou un journaliste sportif qui a eu affaire au personnage et qui connaît son mépris affiché pour la profession, les inquiétudes sont réelles. Pour les autres, ce n’est pas pareil", explique un quatrième. Pour un autre rédacteur, plus jeune et intéressé par les nouveaux médias, les perspectives sont plus positives : "Nous avons beaucoup de projets sur le Web. Mais ils étaient bloqués par manque de financements. Peut-être qu’avec Tapie, les choses vont changer ? " A quoi un dernier répond, pessimiste : "Tapie parle toujours d’investissements, mais il n’investit jamais."
Quant aux positions syndicales, à Nice et à Marseille, aussi bien au SNJ qu’à la CGT, elles se résument à cette position prudente : il est trop tôt pour porter un jugement. Une réunion est prévue autour du 11 janvier à Paris durant laquelle les choses devraient se préciser. Jusque-là : vigilance.
Les choses bougent vite. Après que Tapie a été annoncé au conseil de surveillance, ce rôle pourrait échoir à Philippe Hersant, laissant la présidence opérationnelle au Tycoon. Si tel était le cas, la question se poserait des clauses de cession ou de conscience. Car s’il y a un jugement plutôt partagé à la rédaction, il concerne la crainte que cette opération ne serve de marchepied pour la mairie de Marseille en 2014. Tapie a déclaré qu’il ne voulait pas entendre parler de clause de cession. Pourra-t-il s’y opposer ? Or, le groupe GHM a déjà engagé très discrètement, depuis un an et demi maintenant, ce qu’on appelle dans la maison "un plan social souple". Une petite cinquantaine de salariés, dont 27 journalistes, sont partis dans le cadre de licenciements négociés mais aux conditions très favorables de la clause de cession (SI 776). Ce dispositif étant intéressant à proportion de l’ancienneté, ce sont les journalistes confirmés qui en ont profité. Une nouvelle hémorragie risque de réduire les rédactions de GHM au niveau d’expérience globale des nouveaux médias ou des journaux gratuits… Est-ce le but recherché ?
Jacques Gelin
Sud Infos n° 809 du 7/01/2013