Prépa HEC, Sup de Co Marseille, stage chez Microsoft, alternance chez IBM, product manager dans une filiale de Capgemini… “Jeune, je me voyais travailler dans l'informatique ou dans une ONG”, se souvient Carole Tawema, loin d'imaginer qu'elle serait un jour à la tête d'une entreprise de… cosmétiques ! Née au Bénin d'un père homme politique et d'une mère “femme d'affaires”, elle arrive en France à l'âge de dix ans. Avec sa famille, elle s'installe en banlieue parisienne. Sans pour autant couper les liens avec sa terre natale.
A Marseille, sa thèse de fin d'études porte sur le karité en Afrique : “En Afrique, le karité a une dimension sacrée. L'arbre à karité est reconnu comme l'arbre des femmes. Un peu comme la mère qui donne naissance, il faut attendre 25 ans avant que l'arbre à karité ne donne ses premiers fruits. Ce n'est qu'une fois tombés à terre que les femmes peuvent les ramasser”. Utilisé pour ses vertus cicatrisantes et anti-inflammatoires, le beurre de karité a vite été adopté par les grandes marques de cosmétiques. “Ces industriels utilisent du beurre de karité raffiné… moins cher mais de moins bonne qualité”, raconte, d'une voix posée, Carole Tawema.
En 2005, en même temps qu'elle décroche un emploi chez un éditeur de logiciels, elle crée, avec sa sœur Gwladys, une association afin d'aider les femmes béninoises à mieux vivre de la culture du karité. Au terme de plusieurs déplacements et rencontres, puis de formations, elle ouvre en 2007 une unité de production dans l'Atacora, au nord du Bénin. Un investissement de 40 000 euros pour mettre en place “une filière éthique de beurre de karité, transformé dans le respect du produit et des femmes”, explique la jeune femme qui, en 2010, quitte son emploi pour se consacrer à temps plein à Karethic. Elle participe alors au grand rendez-vous mondial du bio, le salon Biofach en Allemagne, où elle rencontre le patron d'Ekibio (Peaugres/Ardèche), Didier Perreol qui, séduit, décide de s'associer à son projet.
Un an plus tard, après avoir trouvé un laboratoire français pour travailler son “beurre de karité grand cru” - “le karité doit être travaillé à froid” - Karethic lance sa première gamme de soins (huit produits) dans le réseau des magasins bio. En 2013, Carole Tawema sera contrainte de sortir du giron d'Ekibio (lequel sera racheté par Léa Nature un an plus tard, ndlr) : “Je me suis retrouvée sur le carreau…”. Heureusement, les conseils de Jean Verdier, président du Synabio (Syndicat national des entreprises bio), lui donnent le courage de poursuivre son aventure… pour elle, mais surtout pour la centaine de femmes béninoises qui y participent. Elle prend aussi le temps de “faire son tour de France”, comme elle dit : “J'ai souhaité rencontrer les revendeurs, pour raconter l'histoire de Karethic… A ce moment-là, j'ai vraiment pris la température de la France”.
A son retour, elle s'installe à Vaulx-en-Velin, au sein de l'espace de coworking “Comptoir Etic”, créé par Cécile Galoselva (lire son portrait dans Bref du 1er juillet 2015) qui deviendra, pour elle, “une marraine”. A Lyon, Carole Tawema a également déniché une entreprise d'insertion professionnelle, Bioport, pour gérer toute sa logistique. Et son réseau lui a également permis de trouver un investisseur : le Comptoir de l'innovation, un fonds d'investissement spécialiste de l'impact investing (impact social et environnemental positif), créé par Nicolas Hazard, et filiale du Groupe SOS.
Avec les 300 000 euros apportés par son actionnaire, Karethic* bénéficie d'un souffle nouveau qui devrait lui permettre le développement de nouvelles références, notamment autour du miel de fleur de karité et de l'huile de moringa, et de renforcer sa présence à l'international où la marque est déjà présente dans une dizaine de pays… jusqu'en Asie. “Nous souhaitons également investir dans notre outil de production au Bénin afin d'apporter de l'activité pour un millier de femmes”. Aujourd'hui, elles sont 500, d'une douzaine de villages, à amener leurs fèves de karité dans l'unité de production de Karethic, percevant un revenu trois fois supérieur à celui obtenu via les filières industrielles. Une fois transformé, leur produit se retrouvera bientôt sur les tablettes des magasins Biocoop qui viennent de référencer Karethic.
Plus de dix ans après le début de son aventure, Carole Tawema avance à visage découvert, avec un message clair : “Ne pas renier mes racines africaines, mais mettre en avant le savoir-faire français du produit”.
Corinne Delisle
* Karethic (5 pers. en France) vise un chiffre d'affaires de 290 000 euros en 2016.
Bref Rhône-Alpes Auvergne n° 2238 du 16/03/2016
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