Entre 2020 et 2030, la quasi-totalité des 58 réacteurs nucléaires français atteindront l’âge de quarante ans, la durée de fonctionnement prévue lors de leur construction. Mais l’objectif de l’exploitant EDF est de porter la durée de vie de ses centrales à cinquante voire soixante ans. C’est la raison d’être de son programme grand carénage dont le coût a été estimé à 55 milliards d’euros à l’échelle nationale, sur la période 2015-2025. Un peu comme la révision générale d’une voiture, celui-ci doit permettre d’assurer le bon fonctionnement et la sécurité maximale des sites nucléaires pour dix ou vingt ans supplémentaires. Une opération industrielle de grande ampleur qui dépasse largement les contrôles et mises à niveau habituels.
Parmi les quatre centrales qui font de la Vallée du Rhône un acteur de premier rang du nucléaire français(1), Saint-Alban est l’une des premières de l’Hexagone à enclencher son grand carénage(2), pour un budget d’un milliard d’euros. Les opérations viennent de commencer, avec 35 millions d’euros engagés dans la construction de 10 000 m² de bureaux et d’un centre de formation (2 000 m²) doté de maquettes d’entraînement. Ils se poursuivront sur plusieurs années avec l’installation d’un générateur diesel de secours de grande puissance, d’un bunker de crise blindé capable d’accueillir cent personnes et de résister à un séisme, le remplacement des générateurs et des rotors de l’alternateur, et la modernisation des salles de commandes. Il s’agira aussi de mettre en place des mesures de sûreté complémentaires décidées après l’accident de Fukushima, des systèmes de protection contre l’incendie, la tempête, la sécheresse ou le grand froid. Sans parler, bien sûr, du contrôle de résistance des seuls éléments qu’on ne peut pas changer dans une centrale : la cuve du réacteur et son enceinte en béton.
Ces multiples chantiers constituent un vrai challenge en matière d’organisation. Alors que le fonctionnement de la centrale de Saint-Alban est assuré par 820 salariés EDF et 290 employés d’entreprises prestataires, le site accueillera jusqu’à 3 000 intervenants en période de pointe. Un casse-tête logistique qui passe, par exemple, par la construction de 1 300 places de stationnement, la création de nouvelles capacités de restauration, de moyens informatiques supplémentaires, etc.
Le grand carénage est observé de près par l’ensemble des sous-traitants industriels du nucléaire qui attendent avec impatience les appels d’offres, particulièrement en Auvergne Rhône-Alpes. Non sans inquiétude d’ailleurs : la Cour des comptes a déjà tiré la sonnette d’alarme face aux besoins de recrutement et de formation qui ne vont pas manquer, en regard des tensions déjà observées dans certains métiers (tuyauterie, soudage…). Une urgence donc, mais aussi un besoin à long terme : car même si la part du nucléaire est appelée à baisser dans la production d’électricité française, il faudra renouveler d’ici 2050 le parc français, au moins partiellement (on parle de la construction de 30 à 35 nouveaux réacteurs). Et construire de nouvelles centrales dans d’autres pays, la Chine et l’Inde en particulier. Reconnue à l’échelle mondiale, l’industrie nucléaire, parfois présentée comme la troisième industrie française après l’automobile et l’aéronautique, n’a pas dit son dernier mot.
Didier Durand
@didierldurand
(1) Quatorze réacteurs à Bugey (Ain), Saint-Alban (Isère), Cruas (Ardèche) et Tricastin (Drôme).
(2) Avec les centrales de Paluel (Seine-Maritime) et Cattenom (Moselle).
Bref Rhône-Alpes Auvergne n° 2234 du 17/02/2016
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