Elisabeth Ayrault a signé le plan de relance verte.
CNR/Stéphanie Tetu
Présidente de la CNR (Compagnie Nationale du Rhône), Elisabeth Ayrault vient de signer le plan de relance verte, lancé par Pascal Canfin, président de la Commission environnement du Parlement européen, aux côtés de 180 personnalités. Selon elle, il faut tirer rapidement les enseignements de la crise sans précédent du Covid-19. Et se préparer à en affronter d’autres qui pourraient être plus graves encore.
Bref Eco : Faites-vous partie de ceux qui pensent que la crise du Covid provient des atteintes humaines à la biodiversité ?
Elisabeth Ayrault : Aujourd’hui, on n’en sait pas suffisamment. On découvre même des cas de contamination antérieurs aux premières déclarations chinoises. Il faut donc rester prudent, sans exclure cette hypothèse. Dans d’autres cas récents (Ebola, Sras…), il a été prouvé que des virus avaient été transmis pas l’animal à l’Homme : la pression démographique et économique de l’Homme sur la Terre est telle qu’il se rapproche d’animaux avec lesquels il n’aurait jamais dû être en contact. Beaucoup de scientifiques affirment d’ailleurs que l’avenir verra la multiplication de ce genre de transmission viral.
La question est donc plus large : quelle que soit l’origine du Covid-19, tout le monde s’interroge aujourd’hui sur notre mode de vie. Car l’épidémie touche le monde entier, y compris les pays riches. On ne peut donc plus penser que seuls des pays lointains et pauvres sont concernés.
Bref Eco : Vous êtes signataire du Plan de relance vert aux côtés de près de 200 personnalités. Pourquoi ?
Elisabeth Ayrault : J’avais déjà soutenu le Pacte Climat, auprès de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, il y a deux ans. Cette fois, c’est Pascal Canfin qui a lancé un appel allant dans le même sens, disant en résumé : on ne peut pas considérer que lorsque cette crise sanitaire sera terminée, tout reviendra comme avant. Nous devons nous interroger sur nos comportements et changer notre façon de vivre. Les réponses passent autant par une prise de conscience économique que par des décisions pour un meilleur respect de l’environnement.
Par exemple, pendant ces dernières décennies, nous avons préféré externaliser dans d’autres pays des productions polluantes ; et nous dépendons aujourd’hui beaucoup de l’international dans des filières fondamentales comme la santé, l’alimentation, l’énergie, la Défense ou le numérique. Il est grand temps d’encourager à nouveau ce type d’activités industrielles en France et en Europe, avec des indicateurs et des règles à respecter. Je n’ai pas été choquée, par exemple, que les aides apportées par le gouvernement à Air France soient conditionnées par des engagements écologiques, notamment des investissements destinés à une flotte d’avions moins polluants.
Comment avait-on pu abandonner la fabrication de produits aussi indispensables que les masques sanitaires ?
Bref Eco : Vous parlez donc d’une réindustrialisation nécessaire ?
Elisabeth Ayrault : Mais il faut bien se réinterroger sur certains secteurs qui ont subi, par le passé, cette course aux prix les plus bas, en particulier les secteurs les plus essentiels. Externaliser les productions de t-shirts, pourquoi pas ? Mais les médicaments ! Actuellement, nous dépendons de l’Inde pour notre consommation de paracétamol ! 45 % des médicaments consommés en France sont produits ailleurs ; et ce taux monte à 80 % pour les composants nécessaires à la fabrication de ceux qui sortent des usines françaises. Autre exemple : comment avait-on pu abandonner la fabrication de produits aussi indispensables que les masques sanitaires ? On peut aussi appliquer le raisonnement à l’énergie. Pour moi, l’avenir énergétique de la France est électrique, à travers un mix énergétique qui nous rendra moins dépendants des pays producteurs d’énergies fossiles, du pétrole en particulier.
Pour autant, cela ne doit pas se traduire par un repli sur soi. Je suis contre l’autarcie et la démondialisation. Nous aurons toujours besoin des autres.
Bref Eco : Craignez-vous que la relance économique se fasse au détriment de l’environnement, comme l’ont fait craindre certaines paroles du Medef ?
Elisabeth Ayrault : Alors que le Medef demandait une forte relance de l’économie, quitte à lâcher un peu de lest sur les contraintes environnementales, la réponse du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a été de publier les décrets sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie et la Stratégie Nationale Bas Carbone. Cette réaction a confirmé la direction qu’avait prise la transition énergétique avant la crise du Covid-19. Elle m’a profondément satisfaite.
Depuis, une tribune a été signée et publiée dans la presse par l’association Entreprises pour l’Environnement qui regroupe près d’une centaine de dirigeants des plus grandes entreprises françaises. C’est, là encore, un signe qui me rend optimiste.
Au-delà de leur rôle économique, les entreprises ont un impact majeur sur la société et l’environnement
Bref Eco : On parle aussi d’un Green Deal à l’échelle européenne. Et la présidente de l’Union Européenne, Ursula Von de Leyen, semble très sensible à la cause environnementale.
Elisabeth Ayrault : A l’échelle européenne, il y a effectivement beaucoup de déclarations visant à défendre une transition énergétique mais aussi sociale, en matière de transport, etc. Ces voix sont de mieux en mieux entendues. Les idées de « green deal » avancent donc, malgré le lobbying du « monde ancien », ces entreprises industrielles, comme les plasturgistes par exemple, qui n’ont pas envie de se mettre en déséquilibre pour aller vers cette transition.
Sur ces plans-là, le Covid-19 a été un accélérateur. Reste à convaincre les indécis qui pensent qu’après tout, tout ne va pas si mal, que l’Europe est belle et agréable à vivre…
Bref Eco : Etes-vous de celles et ceux pour qui rien ne sera plus comme avant ?
Elisabeth Ayrault : Clairement, oui ! Pendant trop longtemps, les élus politiques et les ONG ont voulu changer le monde en n’associant pas suffisamment les entreprises et les populations… que cette crise remet dans le jeu. Au-delà de leur rôle économique, les entreprises ont un impact majeur sur la société et l’environnement. Outre, bien sûr, qu’elles sont impactées elles-mêmes par cette crise : elles vont devoir ainsi revoir leur organisation et leur façon de travailler (le télétravail va changer la donne dans ce domaine).
Bref Eco : Finalement, que nous aura apporté cette crise ?
Elisabeth Ayrault : Elle a déclenché, dans les pays dits développés, de nouvelles interrogations sur les fragilités de nos sociétés et de notre environnement au sens large : problèmes sociaux, inégalités, question des infrastructures hospitalières, modes de consommation…
Au-delà du désastre, je crois qu’elle nous rend plus lucides. Elle va pousser ceux qui étaient dans le confort à ouvrir les yeux sur les faiblesses de nos sociétés. C’est souvent comme ça : il aura fallu un drame pour le faire.