Laurent Laporte est Pdg de la société Braincube.
Ludovic Combe
Laurent Laporte est Pdg de la société Braincube (Issoire/Puy-de-Dôme), éditeur de logiciels, spécialisé dans l’intelligence artificielle et de l’industrie 4.0.
Et après ?
En me lançant dans la rédaction de cette tribune, un jour de juillet 2020 qui aurait dû être commun mais qui est désormais un jour d’après « grand confinement », je me disais que, six mois plus tôt, mes propos auraient sans aucun doute été radicalement différents. Nous sortons d’une période historique dont les conséquences à moyen et long termes sont totalement inconnues, avec des scénarios potentiels qui n’auraient jamais été envisagés avant cette crise sanitaire et le coup d’arrêt économique brutal qui en a découlé.
Il me semble à présent que la préservation d’une Terre viable pour l’ensemble de son écosystème est en danger à cause de notre approche linéairement simpliste des situations. La plupart des modèles étaient construits pour grandir proportionnellement, quasi indéfiniment. Alors que la Nature a des capacités limitées et ne répond pas à des lois linéaires. Elle met en place des équilibres.
Qu’en est-il du numérique ?
Cet univers technique s’est imposé rapidement dans nos vies, personnelles et professionnelles, avec une vitesse de pénétration jamais connue auparavant. Bien plus que l’électricité, l’eau potable ou la voiture par le passé, le numérique est désormais partout. Mais il n’est pas virtuel. Il est au contraire très matériel, avec des objets connectés, des réseaux, du stockage. Et tout cela est très gourmand, très impactant. Car très consommateur d’énergie qui, le plus souvent, n’est pas propre.
Le numérique est devenu encore plus nécessaire depuis le confinement, et à la fois plus dangereux. En accélérant ses usages, on accélère ses dérives et ses conséquences. Mais comment consommer moins ou mieux ? Comme dans le cas de l’alimentation, il est paradoxal de constater que la clé est entre les mains des utilisateurs. Par leur comportement, ils sont les seuls à pouvoirs réellement influencer les pratiques des offreurs de solutions. Comment éduquer nos concitoyens à éviter le paradoxe qui est d'aller au stade voir un match et de le suivre en parallèle sur son téléphone pour avoir les replays et les commentaires ? Le futur est dans les mains des usagers. Pour tous les domaines de la société. Il est faux de penser que les offreurs de solutions sont l’origine du problème. Déjà peu d’entre eux réussissent et leur réussite est liée à notre adoption. Usage, abus, ou addiction sont juste des niveaux d’utilisation, corrects ou excessifs. Et l’émergence des technologies d’Intelligence Artificielle (IA), reposant sur les infrastructures numériques en place, décuple à la fois les opportunités d’usage, mais aussi les conséquences sociétales.
L’IA va se déployer rapidement, car les moyens techniques le permettent, et sera utilisée par ceux qui ont le plus de moyens. Les dernières élections aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne (Brexit) se sont gagnées grâce à l’IA. Les plateformes d’e-commerce nous abreuvent de recommandations d’achat. Les réseaux sociaux nous inondent de « nudge » pour nous inciter à rester connecté plus longtemps et ainsi collecter des données et vendre des publicités. On peut clairement dire que le futur de l’IA sera d’abord dans la « Tech for Sale », ou dans la « Tech for Control » comme c’est déjà le cas en Chine.
Mais alors, quid de la Tech for Good ?
Elle est le parent pauvre de notre économie. Et pourtant, elle représente une réelle opportunité d’aider l’humanité dans la santé, la connaissance et la protection de la biodiversité. Il va falloir soutenir son développement et limiter à tout prix le développement potentiellement catastrophique des autres « tech ». Tout l’enjeu va être de nous reconstruire sans entrer dans le piège du conservatisme. Les outils pour le faire seront législatifs, fiscaux et éducatifs. On peut limiter les abus par des lois comme la RGPD, ou utiliser la fiscalité pour influencer les entrepreneurs dans leurs choix fondamentaux (usages, énergies, etc.). Et nous devons aussi travailler sur le libre arbitre, en éduquant et surtout en informant. Quand on affiche sur un tableau de bord la consommation d’un véhicule on modifie la conduite, alors pourquoi ne pas connaître le coût des recommandations superflues et avoir le choix de les désactiver, ou simplement de changer de site ?
Et les entrepreneurs dans tout ça ?
Si la linéarité des business plans mirifiques n’est pas d’actualité, si les technologies nouvelles ou anciennes trop gourmandes ne seront plus rentables, comment devrons-nous entreprendre ? Il faudra se concentrer sur des fonctions essentielles, de plus en plus optimisées et frugales, sur des marchés eux aussi essentiels à la survie de l’humanité. Nous devrons passer de la futilité à la solidarité, de la croissance miraculeuse à la résilience protectrice.
SES TROIS IDÉES-CLÉS POUR LE REBOND
Cet article a été publié dans le numéro 2422 de Bref Eco.