L’ancien rugbyman entame sa sixième année à la tête des meubles Moissonnier qui fêtent leurs 130 ans d’existence à Bourg-en-Bresse.
Son bureau de pdg est à nul autre pareil. Des meubles de style Empire aux couleurs vives se partagent l’espace avec des objets et des tableaux inspirés du street art new-yorkais. Pull en cachemire sombre recouvrant une chemise blanche, jean, et mocassins anglais, l’apparence vestimentaire du maître des lieux est à l’unisson de cette ambiance chic et design. Jean-François Perche incarne l’esprit de Moissonnier, mélange de tradition et de contemporain, de raffiné et de robuste. L’homme entame sa sixième année à la tête de cette ébénisterie* plus que centenaire, qui n’a jamais quitté son berceau d’origine : Bourg-en-Bresse. Les meubles Moissonnier fêtent 130 ans d’existence cette année.
Cette longévité aurait pu tourner court au sortir des Trente Glorieuses sans un coup de génie. La crise pétrolière de 1974 a poussé au dépôt de bilan de nombreux petits fabricants en Bresse. Le meuble de tradition étant supplanté par le “prêt à monter”, Annie-Pierre Moissonnier - sœur de Jean-François - actuelle directrice artistique et Jean-Louis Moissonnier, son mari et pdg de l’époque, eurent alors une idée audacieuse : sortir un meuble de couleur. Le bizarre fut couronné de succès, au-delà des espérances. Ce tournant a orienté l’activité de l’entreprise vers le luxe. “Nous sommes dans la haute couture du meuble”, déclare fièrement Jean-François Perche. La moitié du chiffre d’affaires réalisé par cette seule activité (environ 4 millions d'euros sur un chiffre d'affaires global de 7 millions d'euros) provient de la fabrication de pièces uniques, sur-mesure, pour des clients richissimes du monde entier. L’excentricité des créations de l’entreprise bressanne plaît, comme ce bureau aux couleurs léopard ! Et ce qui est rare ou unique est forcément très cher : 15 000 € !
Dans cet univers du luxe, le patron de Moissonnier fait figure d’iconoclaste. Jean-François Perche est né et a grandi à Bourg dans une famille modeste, un père comptable “chez Berliet”, une mère “s’occupant du foyer”. Pas de grande école mentionnée sur son CV. Une scolarité, primaire et collège, passée sur les bancs d’une institution privée, avant de rejoindre le lycée technologique Carriat. A 14 ans, le jeune Burgien a rencontré sa bonne étoile : un ballon de rugby.
Ce sport a bouleversé son existence en l’élevant au plus haut niveau. Il a porté le maillot violet de l’US Bressane douze saisons d’affilée. L’ancien talonneur a même revêtu à plusieurs reprises le maillot de l’équipe de France. De tournois en tournées, il a parcouru le monde jusqu’au mémorable stade d’Auckland en 1979 en Nouvelle-Zélande, lieu d’une victoire de légende face aux Blacks. L’ovalie lui a ouvert les yeux sur des horizons lointains, des cultures différentes. Le jeu a aussi révélé chez ce teigneux, ce bagarreur, une nature de meneur d’hommes. Rôle qui lui est dévolu à la tête de l’usine Moissonnier, pendant que Christine son épouse, directrice commerciale, prospecte les clients à l’étranger. “Je fais en sorte que tout se passe bien, que les talents s’expriment. Je mets de l’huile, quoi !”
“Dans notre société, les salariés ne sont pas une variable d’ajustement, défend-il quand on lui parle gestion des coûts. Dans notre métier, le made in France a tout son sens. Je ne suis pas sûr qu’en faisant fabriquer en Roumanie, nous ayons le même succès à l’international”. L’esprit de corps dans l’usine c’est “l’ADN” de la société familiale, que l’on peut résumer ainsi : “Aimer produire des meubles de haute facture”.
Jean-François Perche cultive aussi l’art du commerce. Le rugby de haut niveau ne garantissant pas des contrats en or à l’époque où il jouait, en parallèle à son parcours sportif, le Bressan a appris le business chez un géant de l’agroalimentaire : l’américain KraftFood. Il a fini au siège de la direction France en région parisienne. “J’ai connu les pressions internes et externes de la grande distribution”, se souvient l’homme proche des 65 ans, au regard bleu ciel candide. Cette expérience lui a enseigné des certitudes pour diriger Moissonnier : “Il faut être proche des clients, et même dans le luxe, il faut aussi vendre ses produits, les faire connaître. La renommée ne suffit pas”.
Burgien la semaine quand il travaille au siège de l’entreprise, le week-end, l’ancien rugbyman prend l’accent du Sud-Ouest, en rejoignant les Landes sauvages. Cet amoureux de la nature et des grands espaces vit avec sa famille-tribu recomposée à Hossegor. Dans une demeure d’exception, entre étang et océan, il s’adonne à ses deux passions : le golf et l’art urbain qu’il collectionne. Sous ses traits d’entrepreneur branché, cet épicurien reste fidèle à ce qui fait le sel de sa vie : le rugby. Le Violet de cœur a été adopté par l’Aviron Bayonnais. L’homme aime décidément mélanger les couleurs.
Philippe Cornaton
* La société Moissonnier est détenue par Jean-François Perche, son épouse Christine Duval, Annie-Pierre Moissonnier et le fonds d’investissement Aquasourça.
Photo : ©Philippe Cornaton.
Bref Rhône-Alpes n° 2194 du 04/03/2015
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