Le 4 mai dernier à Grenoble, le moine bouddhiste Matthieu Ricard venait soutenir la chaire "Mindfulness, bien-être au travail et paix économique". Devant une salle comble.
Il y a deux ans, Dominique Steiler, docteur de l’Université de Newcastle, ouvrait à Grenoble EM la chaire “Mindfulness, bien-être au travail et paix économique”. Pas d’ésotérisme derrière cette pleine conscience : seulement une autre façon d’interroger l’entreprise, cette fois sous le prisme de la bienveillance et de l’altruisme. Il fallait oser ! Le 4 mai dernier, dans un amphithéâtre de Grenoble plein à craquer, le moine bouddhiste Matthieu Ricard est venu soutenir cette initiative probablement unique dans le monde des écoles de management.
L’homo economicus décrit par les pères de la théorie de l’économie de marché a été enseigné à des générations d’étudiants : un homme rationnel, calculateur et agissant d’abord selon son intérêt personnel ; un entrepreneur à la seule recherche du profit ; un consommateur qui veut satisfaire ses goûts ; et une main invisible qui régit le tout. Matthieu Ricard* conteste cet égoïsme universel : “Aujourd’hui, bien des créateurs d’entreprise sont conscients que la vision de l’homo economicus n’est qu’une caricature de la nature humaine et ont eux-mêmes des systèmes de valeur autrement plus complexes dans lesquels l’altruisme a une place à part entière”. Et d’affirmer : “Une théorie économique qui exclut l’altruisme est fondamentalement incomplète et réductrice”.
Ce proche du dalaï-lama ne remet pas en question le libre-échange. Mais “toute liberté ne peut s’exercer que dans le cadre de responsabilités à l’égard d’autrui, guidées par des valeurs morales et par une éthique respectueuse du bien-être de la communauté, à commencer par l’obligation de ne pas nuire à autrui…”
Dominique Steiler ne dit pas autre chose : “Je n’ai pas de problème avec le profit. Il est nécessaire. Mais il pose souci quand il génère de trop grandes inégalités”. Souvent vu comme un utopiste, le chercheur trouve cependant des raisons d’être optimiste : le fait, par exemple, que son discours résonne au sein d’entreprises et de structures régionales, en premier lieu celles qui soutiennent sa chaire (ARaymond, Bollhoff Otalu, E2v, Guichon Valves ou encore l’Udimec, le CJD).
Dominique Steiler aime raconter l’anecdote suivante : alors que l’usine de son concurrent italien est détruite par une inondation, un industriel grenoblois lui propose de l’aide pendant la période difficile de la reconstruction. En échange : un engagement mutuel pour que, une fois la société transalpine remise sur pied, la concurrence entre eux reste saine, et qu’en finisse la guerre des prix. Conclusion : “Nombreux sont les dirigeants, managers ou employés, à penser que pour perdurer, il ne faut plus être dans une logique de compétition destructrice, ni de guerre économique. D’aucuns estiment qu’à ce rythme, notre système va s’effondrer”. La paix économique, donc, doit générer la paix sociale et la pérennité d’entreprises qui n’en resteront pas moins performantes : des salariés respectés, écoutés et dirigés dans la bienveillance. La coopération plus forte que la compétition… un rêve, vraiment ?
Didier Durand
@didierldurand
* “Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance” ; 2013 ; 917 p. ; Ed. NIL.
Photo : Dominique Steiler et Matthieu Ricard.
Bref Rhône-Alpes n° 2203 du 28/05/2015
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