Par Stephen D. Kramer, avocat associé du cabinet Phillips Nizer, à New York
(traduction : Me Samuel Cornut, Annonay).
Après nous avoir tourné le dos durant la dernière décennie, il semble que les Français redécouvrent l’Amérique. Quelques conseils pour réussir sur un marché réputé difficile mais qui peut vous apporter la croissance tant attendue.
Il y a tellement d’aides disponibles pour les petites et moyennes entreprises en France ! Les chambres de commerce qui travaillent pour promouvoir leur région et encourager la croissance des entreprises locales ; les autorités régionales, UbiFrance qui combine les talents des banquiers spécialisés avec ceux d’experts en innovation ; un crédit-assureur étatique bien géré pour réduire les risques à l’exportation ; et des documentations disponibles dans vos ambassades. Malheureusement, votre culture vous pousse à éviter les frais quelque soit le but de la dépense, spécialement quand elle vient des consultants. Vous êtes invité à un banquet de riches mais vous refusez de vous y asseoir. Le résultat est que vous vous trouvez souvent seul, forcé d’entrer sur les marchés étrangers, spécialement l’économie américaine surdimensionnée, sans les connaissances vous permettant d’éviter des erreurs coûteuses. Voici donc quelques conseils pratiques à garder à l’esprit en abordant le marché américain.
Les Etats-Unis ne doivent pas vous effrayer. C’est un territoire difficile, grand et différent, mais qui vous est moins étranger que certains pays membres de l’Union Européenne. La peur est habituellement le sous-produit d’un manque de connaissance ou de compréhension. Utilisez les ressources à portée de main pour vous informer des particularismes du marché. Préparez un business plan détaillé, et soyez sûr que vous êtes bien rodé dans ce que vous planifiez.
Si l’ensemble de votre équipe n’est pas engagé à vos côtés pour réussir aux Etats-Unis, vous pourriez être tenté un jour ou l’autre d’abandonner vos efforts. Les richesses du plus grand marché du monde doivent être considérées comme un objectif central pour votre entreprise, et sa réalisation comme le symbole d’une croissance stable. L’esprit d’équipe est un outil pour surmonter tout découragement. Ne pas avoir à critiquer après coup votre gestion, parce que vous savez que tout le monde est derrière vous, est très important pour maintenir la ténacité dont vous aurez besoin pour réussir. Dans votre entreprise, tous les employés devront s’engager et être impliqués dans le projet américain.
Chaque coût n’est pas une dépense. Les coûts de production sur une durée de plus d’un an sont à évaluer et à provisionner, au même titre que l’investissement dans un nouvel équipement. Comme point de départ, dépensez de l’argent pour vous informer. Investissez dans une enquête de marché détaillée sur les produits équivalents aux vôtres et compétitifs déjà présents aux Etats-Unis. Déterminez la clientèle susceptible d’acheter vos produits, ses lieux d’implantation et vérifiez s’il existe des réseaux de distribution ou des professionnels capables d’occuper le marché plus efficacement que vous. Assurez-vous que vos produits sont en conformité avec les règles et normes américaines, et pensez à conserver un consultant qui peut organiser des panels de consommateurs vous permettant de connaître la réaction du public américain face aux produits français.
Cela ne signifie pas que vous devez prendre votre famille pour visiter les parcs nationaux ou faire des achats sur Madison Avenue ! Simplement, une petite entreprise ne devrait pas s’engager dans l’aventure américaine sans le support de quelqu’un qui connaît le pays. Il y a des dizaines de consultants et de prestataires de services présents aux Etats-Unis qui peuvent faciliter votre approche du marché, que ce soit en trouvant des espaces d’exposition ou de représentation, des services de gestion et autres prestations. Faut-il vendre via un agent commercial ou un distributeur ? Bien que coûteux, ils peuvent l’un et l’autre vous aider à éviter des erreurs désastreuses. Si vous travaillez étroitement avec une équipe locale, vous devriez bientôt en apprendre assez sur les us et coutumes pour être en mesure d’assumer directement les responsabilités.
Les Etats-Unis d’Amérique sont pratiquement de la taille d’un continent. La France est aussi grande que le Texas. Beaucoup de PME subdivisent la France en plusieurs marchés régionaux qu’elles abordent l’un après l’autre. Ne devriez-vous pas être plus prudent dans un pays qui fait presque 17 fois la taille du vôtre ? Une étude de marché préalable afin de développer une stratégie aux Etats-Unis est le premier investissement significatif qui doit être fait. Identifiez s’il existe un marché pour votre produit, s’il est régional, spécialisé ou général, et s’il existe un marché national. Déterminez où focaliser vos efforts pour fournir une population plus dense, par exemple, réduira vos futures dépenses de développement. La densité de population, les conditions climatiques, la présence d’autoroutes et d’infrastructures, le coût de la vie, une haute concentration d’universités, la présence d’industries liées sont des critères à retenir. Une fois que vous aurez introduit avec succès vos produits ou services sur le marché initial, vous pourrez élargir votre offre pour conquérir les autres. Une telle expansion nécessite que vous créiez une présence en Amérique du Nord afin que le marché élargi puisse être alimenté constamment. Bien évidemment, si vous êtes venu aux Etats-Unis en réponse aux demandes répétées d’un client existant, alors vous savez par où commencer le déploiement de votre affaire. C’est une chance.
Aucun Américain sensé n’achètera votre « coûteux bitoniau » s’il doit être renvoyé en France pour réparation et ne sera pas retourné avant des semaines. Une garantie de service après-vente est un problème logistique de premier ordre, mais qui peut être facilement résolu. Vous pouvez faire de la garantie de service une obligation de votre force de vente locale. Vous devrez embaucher et former une équipe de techniciens basée aux Etats-Unis, ou vous pouvez maintenir une disponibilité locale de produits de rechange pour un usage temporaire pendant que l’équipement du client sera réparé en Europe. Aux Etats-Unis, nous disons que le client a toujours raison. Aucune autre notion du marché américain ne paraît plus étrangère aux Français. Toutefois, la manière dont les réclamations après-vente sont traitées sert très souvent de point de vente significatif pour un produit récemment importé qui n’est pas encore établi sur le marché. Aux Etats-Unis, vous devez toujours réfléchir à deux fois avant de rejeter les réclamations d’un client pour réparation.
J’avais l’habitude de croire que vous deviez être une entreprise d’une certaine dimension avant de présenter vos produits sur le marché américain. Je pensais qu’une entité commerciale devait être assez importante pour avoir un exécutif qui pouvait être expatrié sans laisser l’entreprise à court de personnel. Récemment, j’ai été sollicité par un nouveau client disposant de deux entreprises dont les produits innovants ont trouvé un potentiel formidable sur le marché américain. La première dispose de quatre employés, l’autre de cinq. Ces sociétés sont en train de prospérer au travers de joint-ventures avec une plus grosse entreprise américaine qui utilise les ingrédients de mes clients en fabriquant ses propres produits qu’elle distribue à travers l’est des Etats-Unis. Bien sûr les nouvelles technologies facilitent les choses : la taille n’est pas un problème. J’ai une fois traité l’acquisition d’un petit courtier en douane américain pour une grande entreprise française de fret. Le dirigeant français a négligé de visiter cette filiale jusqu’à la troisième année suivant son acquisition. Pendant ce temps, le président de l’entreprise américaine, n’ayant plus aucune participation financière dans celle-ci, avait acheté trois chevaux de course avec les bénéfices subsidiaires ! Au-delà de ces généralités, l’histoire démontre qu’il est primordial d’avoir le contrôle sur votre affaire aux Etats-Unis.
Les Américains ont tendance à être moins formels que les Européens. Nous sommes directs et ouverts dès notre première rencontre. Nous utiliserons habituellement le « tu ». Les Américains ont tendance à voir de l’arrogance dans la réserve des Français, aussi essayez d’être détendu et vous paraîtrez beaucoup mieux à nos yeux. Nous travaillons dur et nous ne prenons pas beaucoup de vacances. La plupart de nous ne sait pas si l’Europe est un continent ou un pays. Mais nous sommes très efficaces pour conduire nos affaires, et je vous recommande de vous adapter aux méthodes d’organisation et de gestion américaines. Cela dit, nous vous trouvons exotique et plus intéressant que nous ne le sommes. Et vous obtiendrez beaucoup de la part des gens locaux qui vous aideront sans rechigner, si vous pensez à leur envoyer une eau de toilette ou une cravate Hermès à Noël. Leurs amis seront très jaloux, et les bénéficiaires se sentiront particulièrement choyés.
Partir en procès est quelque chose de très fréquent aux Etats-Unis. Il y a beaucoup de juristes qui accepteront des honoraires au résultat. La plupart du temps, les plaintes enregistrées n’ont aucun fondement. Mais vous aurez tout de même à payer des milliers de dollars à un juriste pour répondre à la plainte et vous défendre. Cela prendra de nombreux mois. De tels procédés dépourvus d’intérêt sont qualifiés de « requêtes de nuisances ». Petit secret que beaucoup d’avocats américains oublient de dire à leurs clients étrangers : si vous avez une bonne couverture de responsabilité civile d’entreprise (« tous risques »), votre assurance couvrira jusqu’à 50 % de vos frais de défense, sans les honoraires des avocats. Bien qu’une plainte devrait être rare si vous faites ce que vous avez promis, prendre une assurance pour les coûts de défense est une bonne politique. La compagnie d’assurances fournira normalement le juriste et paiera ses factures ; si vous souhaitez utiliser votre propre conseil, votre avocat devra alors être accepté par la compagnie d’assurance. Une couverture d’assurance suffisante est donc un coût nécessaire pour entreprendre aux Etats-Unis. En synthèse, faites votre travail, et il y a de bonnes chances que votre affaire puisse rencontrer le succès sur le marché américain. Tenez bon dans la course ! Ayez de l’estomac, et accoutumez-vous au ketchup, car vous êtes embarqué sur ce qui pourrait être l’aventure de votre carrière. Il est temps pour vous de (re)découvrir l’Amérique !
Magazine Entreprises Rhône-Alpes n° 1504 (Nov./Déc. 2010)
Photo : Stephen D. Kramer, avocat, conseille les entreprises étrangères pour leur implantation aux Etats-Unis.