Thierry Gardon : "En une semaine, nous avons eu 50 mandats Ad hoc (170 par an d'ordinaire) et ce n’est que le début !"
Le nouveau président du Tribunal de commerce de Lyon (l’un des plus importants de France avec 69 juges), Thierry Gardon, installé le 24 janvier, débute sa mission avec la crise du coronavirus et la menace d’un tsunami économique. Fermée au public, sa juridiction est cependant en ordre de marche pour aider les entreprises.
Bref Eco : Quelles conséquences l’annonce du confinement, effective à partir du 17 mars, a-t-elle eues sur votre juridiction ?
Thierry Gardon : La semaine passée a été une semaine de grande confusion. On entendait que les entreprises ne devaient plus payer, on a eu beaucoup de questions sur la suspension des loyers, sur la prise en charge des salaires. Le chômage partiel est très attendu, mais il faut commencer par faire l’avance des salaires. Or, beaucoup d’entreprises n’ont même pas un mois de trésorerie quand d’autres sont déjà à découvert. Les professionnels du droit des entreprises en difficulté se sont mobilisés pour informer et notamment dire que le tribunal de commerce était ouvert. Car de nombreuses entreprises, notamment les petites, étaient désemparées.
Le président Macron a indiqué qu’il n’y aurait pas de faillites mais évidemment il faut décrire les contours de cette annonce
Le président Macron a indiqué qu’il n’y aurait pas de faillites mais évidemment il faut décrire les contours de cette annonce. Tout d’abord, selon mon interprétation, on ne parle que des entreprises en difficulté à cause du virus. Les autres ne seront sans doute pas concernées. Ensuite, il faut savoir que faillite signifie liquidation. Donc cela ne nous empêche pas de traiter les procédures de prévention comme la sauvegarde ou le redressement. Et c’est ce que nous faisons.
Car si le tribunal a été fermé au public, nous continuons notre mission et nous tenons nos audiences. Nous avons même ouvert une permanence 5 jours sur 7 avec des juges spécialisés dans la prévention des difficultés des entreprises qui sont là pour écouter et renseigner les chefs d’entreprise. Nous aiguillons les entreprises vers les bonnes personnes. Les avocats se mobilisent aussi, tout comme les associations comme 60.000 rebonds ou Second souffle.
Bref Eco : Dans quelles conditions travaillez-vous et comment les entreprises peuvent-elles vous joindre ?
Thierry Gardon : Nous avons beaucoup de chance à Lyon car d’une part le greffe est toujours resté opérationnel et d’autre part, le ministère public continue de requérir par voie dématérialisée. Donc nous pouvons continuer de travailler et pour cela, nous avons nous aussi opté pour des procédures à distance. Pour les audiences, nous sommes trois au tribunal et les juges sont chez eux, en visioconférence. Les entreprises peuvent quant à elle nous saisir par mail ou via le tribunal digital sur notre site web.
De gros dossiers arrivent avec des sauvegardes et des redressements pour des centaines de salariés. Je n’ai jamais vu cela, c’est inédit !
Bref Eco : L’urgence a donc nécessité de travailler hors cadre.
Thierry Gardon : Nous attendons pour vendredi une ordonnance qui va nous permettre légalement de siéger par audioconférence ou Facetime et permettre aux entreprises de nous saisir par tous les moyens. Il faut qu’elles le fassent !
Bref Eco : C’est un champ de bataille…
Thierry Gardon : En une semaine, nous avons eu 50 mandats Ad hoc (170 par an d'ordinaire) et ce n’est que le début ! Par ailleurs, de gros dossiers arrivent avec des sauvegardes et des redressements pour des centaines de salariés. Je n’ai jamais vu cela, c’est inédit ! Car aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de gérer le risque mais aussi et surtout l’incertitude. Je suis cependant plus confiant qu’il y a une semaine car les choses se mettent en place et nous commençons à avoir les moyens de traiter les dossiers.
Bref Eco : Vous vous attendez à une déferlante. Concrètement, comment allez-vous gérer cela ?
Thierry Gardon : Les entreprises en difficulté représentent habituellement 30 % de notre activité. Nous avons donc ajourné le contentieux général et tout le reste (sauf le référé d’heure à heure) afin de nous générer des marges de manœuvre. Et nous travaillons 18 heures par jour !
Bref Eco : Comment et pourquoi le président a-t-il dit qu’il n’y aurait pas de faillite ?
Thierry Gardon : Il est clair que normalement, quand une entreprise n’a plus de chiffre d’affaires, il y a liquidation. On attend donc l’ordonnance pour savoir quelle latitude nous aurons sur le fond. J’imagine que les difficultés liées au virus seront en quelque sorte « isolées », que l’on va installer comme une sorte de « franchise ».