Selon, Anne-Sophie Thelisson, "un boom des fusions-acquisitions est très probable : les entreprises les plus solides auront ainsi des opportunités de renforcer leurs positions commerciales et stratégiques, en rachetant les plus faibles."
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Enseignante-chercheur à l’Esdes Business School (Ucly) spécialisée dans les fusions-acquisitions, membre du laboratoire de recherche Confluence, Sciences et Humanités, Anne-Sophie Thelisson s’attend à une accélération des rachats d’entreprises au cours des mois à venir, suite à l’affaiblissement d’un grand nombre d’entre elles. Une perspective qu’elle ne juge pas forcément positive.
Bref Eco : Les fusions-acquisitions sont-elles impactées par la crise de covid-19 ?
Anne-Sophie Thelisson : Oui, bien sûr. Le début de l’année avait été très favorable aux rapprochements d’entreprises et puis on a observé un vrai coup de frein. Confinement oblige, les équipes et les dirigeants des sociétés concernées ne peuvent dialoguer que par visioconférence et, il faut bien le dire, ce ne sont pas les meilleures conditions pour échanger et négocier. Mais d’ici quelque temps, il y aura un rebond.
Bref Eco : Faut-il s’attendre à une vague de dépôts de bilan au cours des prochains mois ?
Anne-Sophie Thelisson : Il est clair qu’on va observer une forte augmentation du nombre d’entreprises en difficultés, une fois passée la période de soutien de l’Etat (PGE, chômage partiel...). Le dépôt de bilan ne sera pas la seule issue. Mais un boom des fusions-acquisitions est très probable : les entreprises les plus solides auront ainsi des opportunités de renforcer leurs positions commerciales et stratégiques, en rachetant les plus faibles. Ce qui amènera probablement une concentration des acteurs dans les filières concernées.
Bref Eco : Est-ce une bonne chose ?
Anne-Sophie Thelisson : Pas forcément. On sait que les fusions-acquisitions les plus solides sont celles qui sont bien préparées et dans lesquelles toutes les dimensions du rapprochement sont abordées : financière, stratégique, humaine. On voit souvent échouer des opérations parce que l’une d’entre elle n’a pas été traitée, les relations humaines (entre dirigeants et collaborateurs des deux « camps ») et les cultures d’entreprises étant des facteurs très sensibles. Il ne suffit pas de faire le même métier pour réussir un rapprochement. Je rappelle d’ailleurs que 40 à 60 % des fusions-acquisitions se soldent par un échec dans les deux ans qui suivent leur signature. Les déceptions les plus fréquentes concernent des absorptions dans lesquelles une plus grande entreprise rachète une petite. Le rapport de force est alors très favorable à la première et l’intégration des équipes est alors plus difficile.
Or, dans quelques mois, on sera dans ce cas de figure : beaucoup des « cibles » seront très affaiblies. Les acquéreurs n’auront pas beaucoup de temps pour se décider, les négociations seront courtes et les nouveaux ensembles risqueront d’être plus fragiles, moins cohérentes. On risque d’avoir des acheteurs s’intéressant d’abord aux « bonnes affaires » sans forcément prendre le temps d’étudier toutes les synergies possibles ou les difficultés à prévoir. Bref, de voir se multiplier les absorptions mal préparées.
Bref Eco : Peut-on aussi s’attendre à quelques surprises et rebonds inattendus ?
Anne-Sophie Thelisson : Tout à fait. Je viens d’observer le cas précis d’un projet de fusion-acquisition qui n’a pas abouti... pour une raison surprenante. Elle concerne deux entreprises régionales de la communication qui avaient envisagé de se rapprocher : la plus grosse était sur le point d’absorber la plus petite. L’opération devait être signée en mars. Or, comme partout, le confinement s’est brutalement imposé aux deux parties et a stoppé net les négociations. Depuis, la société qui devait être absorbée a pu bénéficier, comme beaucoup d’autres, de fonds publics qui l’aident à passer le cap. Du coup, elle a revu totalement son business model, elle va modifier sensiblement son activité... et il n’est plus question de fusionner ! C’est un cas d’école.