Raphaël Mignard, Partner, Strategy & Operations
Quel regard portez-vous sur le contexte économique dans lequel évoluent les entreprises industrielles en ce début d’année ?
Trois principaux facteurs drivent depuis plusieurs semestres maintenant la conduite des entreprises industrielles.
L’inflation qui augmente les prix de revient sans que ces augmentations ne soient systématiquement répercutées dans les prix de vente, les transformations induites par les attentes des consommateurs et de la société civile souvent relayées par une réglementation spécifique (énergie, environnement…), et l’augmentation des coûts de financement.
Le premier trimestre 2024 s’inscrit dans cette continuité. Les industriels interrogent de plus en plus le cœur de leur modèle de production pour en améliorer la profitabilité et en réduire le besoin de trésorerie. Il est plus que jamais question de performance des outils de production et de performance des schémas industriels et logistiques.
Comment les acteurs industriels abordent-ils la question de la performance de leur modèle de production ?
Cette question est encore trop souvent abordée de façon indirecte ou partielle. De façon indirecte à travers la construction des plans moyen et long termes (PMT) et du budget qui, de fait, conduisent à s’appuyer sur la performance historique des outils de production sans pour autant en questionner les fondamentaux véritables. De façon partielle lorsque deux ou trois leviers d’amélioration de l’EBITDA ou du cash sont identifiés et travaillés sans totale mise en perspective avec la stratégie poursuivie par l’entreprise ou avec sa trajectoire de développement à moyen terme.
Les acteurs industriels n’ont pas toujours conscience du réservoir de valeur ou de cash que renferme leur modèle de production, ce qui les conduit à porter principalement leur regard sur la topline : le développement des volumes d’affaires et l’évolution de leurs prix de vente. Un levier généralement plus complexe à concrétiser et incertain.
Quelles raisons peuvent expliquer cette situation ?
Plusieurs raisons. Parmi celles-ci, une approche trop mécanique ou financière de la construction du plan moyen et long terme (PMT) et du budget, sans que ne soit fait le lien avec le maillon Production de la chaîne de valeur de l’entreprise et son niveau de performance opérationnelle. Une implication insuffisante de la fonction industrielle dans ce processus, la « force de l’habitude », la culture de l’entreprise ou plus simplement son modèle de gouvernance sont d’autres raisons.
Il ne s’agit pas de remettre à plat chaque année le modèle de production de l’entreprise mais de prendre en compte et d’analyser les impacts du changement des fondamentaux et de la rupture des cycles que nous connaissons depuis plusieurs mois pour réobjectiver la stratégie industrielle de l’entreprise et l’ajuster afin d’en sécuriser l’atteinte des objectifs.
L’exercice s’impose à tous les acteurs qui ne s’y sont pas encore confrontés. Il en va de la responsabilité du chef d’entreprise ou de l’actionnaire de donner l’impulsion.
Quels sont les leviers clés qu’il est d’usage d’aborder dans le cadre d’une réflexion complète sur la performance industrielle ?
On commence généralement par travailler sur la performance intrinsèque des outils industriels (saturation, cadencement, TRS…), sur des ajustements du portefeuille produits (taux de marge, seuil critique d’amortissement des coûts fixes et rationalisation) et sur les achats. Si l’entreprise s’appuie sur plusieurs sites de production, l’optimisation de son schéma directeur industriel peut également revêtir un caractère critique. Enfin, un travail sur le processus de S&OP conduit souvent à une amélioration sensible de la fiabilité des prévisions de vente, des niveaux de stock ainsi qu’à une amélioration du taux de service sur les canaux de vente à plus fortes marges.
Comment réussir à intégrer l’ensemble de ces sujets ?
Tout l’enjeu consiste à aborder la réflexion avec méthode et rigueur, et à se fixer une ambition réaliste. Souvent, un regard extérieur sera bénéfique pour aider les équipes à se défaire de leurs habitudes et des a priori liés à l’histoire ou au secteur. Le regard extérieur contribue également à faciliter les échanges au sein de l’entreprise et la prise de décision.
D’expérience, nous constatons qu’une réflexion globale bien menée autour de la fonction industrielle peut permettre d’améliorer la profitabilité de l’entreprise de 5 à 10 points, tout en gardant son besoin en fonds de roulement sous contrôle.