Odile Dubreuil, ex-présidente de l'ordre des experts-comptables de la région AURA.
Gianni Visocchi
En ce début d'année, nous vous proposons une série d'interviews de décideurs et observateurs économiques de la région à propos de leurs espoirs et visions pour 2024. Rencontre aujourd'hui avec l’Ordre des experts-comptables Auvergne Rhône-Alpes qui, fort d’un observatoire regroupant les données de près de 110.000 entreprises, dispose d’un état fiable de la santé financière des forces économiques. À leur lumière et grâce aux retours directs des clients des cabinets, Odile Dubreuil, présidente de l’ordre jusqu’au 31 décembre dernier*, décrypte la tendance entamée l’année dernière, qui va probablement se prolonger au moins quelques mois cette année.
Bref Eco : Sur le premier semestre 2023, le chiffre d’affaires des entreprises était apparu globalement en hausse du fait de l’inflation, sans que cela ne préjuge de leur état de santé réel. Qu’en est-il finalement sur la totalité de l’année 2023 ?
Odile Dubreuil : 2023 a été très complexe. D’une part à cause du contexte international. Les guerres qui se multiplient génèrent une anxiété débouchant sur un ralentissement de la consommation. D’autre part, effectivement à cause de l’inflation, surtout dans certains domaines comme le bâtiment, touché de plein fouet. Mais il faut noter que, même si de grandes entreprises ont déposé le bilan, au final, dans la région, il n’y a pas tant de casse que cela. Les entreprises tiennent mieux la route que prévu. On est seulement revenu au niveau d’avant covid concernant les procédures collectives, sans aller plus loin, contrairement à ce que l’on pouvait craindre.
Comment est-ce possible ?
O.D. : On observe une résilience des chefs d’entreprise qui ont un état d’esprit positif et qui ont trouvé de nouveaux créneaux de business. Certains ont changé leur business model, leur management, leur recrutement et surtout, ils ont accepté de l’aide. Et cela, c’est la conséquence positive de la période Covid. On assiste à de nombreuses sorties de redressement judiciaire. Je ne dis toutefois pas que nous sommes dans l’euphorie. Les chiffres sont là pour nous le rappeler.
Quels sont les secteurs qui souffrent le plus ?
O.D. : Les commerces de centre-ville non alimentaires sans doute. Il y a la concurrence du web, certes, mais cela n’explique pas tout. Il y a aussi l’inflation qui les a beaucoup impactés et la baisse de fréquentation générale issue des nouvelles habitudes de consommation. La promotion immobilière et le bâtiment sont aussi durement touchés même si l’activité de rénovation tient encore.
Y a-t-il des secteurs qui, au contraire, sont plus en forme que d’autres ?
O.D. : Oui. On peut citer certains cabinets d’architectes, notamment ceux qui travaillent dans le domaine des Ehpad. Mais aussi les start-up qui mettent sur le marché des nouveautés dans le numérique. Le commerce alimentaire fonctionne bien tout comme le tourisme (hébergement et transport). Des activités de service gagnent très bien leur vie et dans la production, l’aéronautique et la sidérurgie s’en sortent très bien.
Un effet relocalisation ?
O.D. : En partie. Il y a aussi beaucoup d’aides publiques, notamment de la Région.
Quid de l’emploi ?
O.D. : Le taux de chômage est à la fois encore élevé mais historiquement bas. Une grande partie des personnes encore au chômage ont des problèmes d’employabilité. Hormis celles en difficulté, toutes les entreprises recrutent, notamment dans les services, l’hôtellerie-restauration, l’événementiel. En fait, les gens ne supportent plus la contrainte et ont une autre approche de l’emploi : beaucoup de travailleurs préfèrent actuellement des CDD ou des contrats d’intérim plutôt qu’un CDI.
À quoi peut-on s’attendre pour 2024 ?
O.D. : Je pense qu’il n’y aura pas de changement sur le premier trimestre et, sur l’année complète, cela dépendra beaucoup du contexte international. Selon la Banque de France, l’inflation reviendra à la normale fin 2024 – début 2025. Il faudra encore se serrer la ceinture un certain temps et rester vigilant, surtout si le contexte géopolitique ne s’améliore pas. Tant qu’il y a de la peur, il n’y a pas de consommation et il y a davantage d’épargne. Les banques ont d’ailleurs beaucoup de liquidités mais comme elles prêtent difficilement, cela bloque encore plus la consommation et le bâtiment…
Quelles solutions peut-on imaginer pour sortir de ce cercle vicieux ?
O.D. : J’espère et je pense que des mesures seront prises sur le deuxième semestre pour inciter à la consommation intelligente : des bonus-malus, des aides, des primes… notamment pour soutenir le commerce non alimentaire et les petites entreprises.
* Depuis 1er janvier 2024, Odile Dubreuil a laissé sa place à Damien Cartel.
Cet article est issu de notre hebdo n°2564, à retrouver ici.