Guillaume Bourdon : " Dans les conditions du pré-dépôt de bilan, il faut d’abord rompre l’isolement."
L’association Second Souffle Lyon, qui accompagne les entrepreneurs en difficulté en amont des procédures judiciaires, prépare la 2è édition de ses « 24 heures pour rebondir » (1). Alors que les professionnels de la restructuration annoncent une hécatombe dans les mois à venir, le président de l'association, Guillaume Bourdon, évoque la dimension humaine des drames qui se jouent.
Bref Eco : Pour une association de soutien psychologique et d’aide aux dirigeants d’entreprise comme la vôtre, comment s’est déroulé 2020 ?
Guillaume Bourdon : On a vécu plusieurs phases. Dès l’annonce du premier confinement, en mars, ce fut un véritable vent de panique de la part des patrons de PME… pendant quelques jours. Nous avons alors rapidement été sollicités par les acteurs économiques locaux et tout ce monde s’est mis autour de la table : Medef Rhône-Loire, CCI, CPME, Experts-comptables, Chambre des Métiers et de l’artisanat, Direccte, Tribunal de commerce, association 60.000 rebonds… L’idée première était la suivante : appeler les plus petites entreprises, celles dont le dirigeant ne dit rien, n’appelle personne, ne demande pas d’aide. En nous appuyant sur les bases de données des experts-comptables, nous leur avons donc téléphoné… et une douzaine a rapidement demandé de l’aide.
Et puis, plus rien. Calme plat pendant trois mois. Même le tribunal de commerce a vu baisser fortement les procédures judiciaires. Beaucoup d’entreprises se sont précipitées, logiquement, sur les aides proposées par l’Etat, en attendant une rentrée de septembre qui devait être celle du rebond. Malheureusement, l’embellie n’a pas duré. Et dès octobre, les demandes auprès de Second Souffle Lyon ont grimpé en flèche. Sur l’année 2020, nous avons reçu 87 demandes de soutien contre 43 l’année précédente. Cette année, nous prévoyons entre 120 et 150 demandes.
Bref Eco : Quel est le profil des entrepreneurs qui vous appellent… et dans quel état d’esprit sont-ils ?
Guillaume Bourdon : On voit aujourd’hui des dirigeants qui étaient bien « installés », qui ont remis une bonne partie de leurs économies dans leur entreprise en espérant rebondir en septembre, mais qui ont finalement tout perdu. C’est allé très vite, c’est très violent. Beaucoup sont désespérés.
Il y a aussi ceux qui avaient créé leur entreprise fin 2019 ou début 2020 ! Pour eux, c’est terrible, leur activité avait à peine démarré qu’il fallait tout arrêter ! Souvent, c’est le rêve d’une reconversion, préparée pendant des mois, qui s’est envolé avec pas mal d’argent personnel. Pire, ils n’ont pas de bilan ni même de chiffre d’affaires à déclarer pour bénéficier des aides étatiques.
Bref Eco : Face à ces drames, que peut faire Second Souffle Lyon ?
Guillaume Bourdon : Notre credo, c’est que nous sommes des « antilopes » : en même temps agiles et rapides mais fragiles et sur le qui-vive en permanence, tout en vivant en meute. Second Souffle Lyon apporte ainsi une solidarité entrepreneuriale à ceux qui sont en situation difficile, avant que tout ne bascule vers le judiciaire. Nous sommes à l’écoute et prêts à échanger avec bienveillance pour voir ce qu’il est encore possible de faire. Un leitmotiv nous anime : « entrepreneurs, entre nous on ne peut pas se mentir, mais on peut s’aider ! »
Bref Eco : Comment intervenez-vous ?
Guillaume Bourdon : Dans les conditions du prédépôt de bilan, il faut d’abord rompre l’isolement. Cela reste très difficile : dans cette période, le chef d’entreprise culpabilise et a beaucoup de mal à parler de ses problèmes à qui que ce soit. Il les cache d’ailleurs souvent à ses proches. Et, ce qui n’arrange rien, il n’a pas toujours payé entièrement son expert-comptable ou des partenaires et fournisseurs proches. Nous lui proposons donc, immédiatement, un binôme, c’est-à-dire un dirigeant en place, bénévole, qui va l’accueillir et échanger avec lui.
Puis il faut aussi « organiser le chaos », gérer les priorités professionnelles mais aussi personnelles. Notre soutien passe parfois, d’ailleurs, par le paiement de séances chez un psychologue. En clair, il faut l’aider à retrouver de l’espoir, à décider, à éviter la liquidation.
Bref Eco : Aujourd’hui, comment contactez-vous les entrepreneurs en détresse ?
Guillaume Bourdon : Début novembre, nous avons mis en place un Numéro Vert 0801 280 250. Nous recevons entre deux et dix appels chaque semaine. Nous sommes par ailleurs en cours de rédaction d’un guide de la formation, à destination de nos « antilopes », ces bénévoles/entrepreneurs qui nous rejoignent pour venir en aide à leurs pairs en danger. Ils doivent apprendre quelques postures à tenir vis-à-vis de personnes blessées voire tétanisées, détecter des points d’alerte, etc.
Bref Eco : Le groupe d’acteurs (CCI, experts-comptables, CPME, 60.000 Rebonds, etc.) mobilisé en mars 2020 est-il toujours actif ?
Guillaume Bourdon : Oui et c’est une force. En particulier, le tribunal de commerce, par l’intermédiaire de son président Thierry Gardon, est très actif. Il intervient énormément pour éviter la chute des entrepreneurs en actionnant, dans la mesure du possible, tous les outils disponibles : conciliation, mandat ad hoc, procédure de sauvegarde. Tous nos partenaires sont conscients de l’urgence de la situation et des problèmes humains posés, sachant que chaque cas est particulier, chaque histoire est différente.
Pour animer ce réseau de partenaires, gérer, organiser et rendre efficace notre action, nous avons recruté une étudiante en alternance. Nous avons besoin de ressources et recherchons des sponsors, pour un budget annuel qui avoisine les 100.000 euros.
(1) Plateau TV avec invités, le 4 février à Port Rambaud, retransmis sur le web. https://www.secondsoufflelyon.org/24hpourrebondir2021/