Élisabeth Ayrault : "Tant que nous continuerons de raisonner en termes de prix, le transport routier aura toujours l’avantage sur le transport fluvial."
Stéphanie Tétu / CNR
Elle a son franc-parler. Et ce n’est pas un parterre de notables lyonnais qui peut arrondir un discours construit sur de fortes convictions. Avec passion et sincérité, Élisabeth Ayrault a transformé la cérémonie des vœux de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) qu’elle dirige, en tribune alarmiste pour la sauvegarde de la planète et de son bien le plus précieux, l’eau.
Dans la salle de la corbeille de la CCI de Lyon, la présidente directrice-générale de la CNR n’a pas hésité à secouer les esprits d’une assemblée polie et attentive. Philippe Guérand, président de la CCI Auvergne-Rhône-Alpes, lui avait préparé le terrain, en affirmant en introduction que si « les théories de la décroissance sont un leurre voire un piège, la RSE (Responsabilité sociétale de l’entreprise, N.D.L.R.) n’est pas un choix, c’est un devoir ». Une entrée en matière idéale pour Élisabeth Ayrault qui avait décidé d’être offensive.
A l’été 2019 dans l’Hérault, il a fait 46 ° C
« Le top 5 des années les plus chaudes depuis 1850 se trouve dans les dix dernières années ; depuis trente ans, chaque décennie est plus chaude que la précédente (...) A l’été 2019 dans l’Hérault, il a fait 46 ° C (...) En Australie, qui a enregistré les années les plus chaudes de son histoire, c’est un continent entier qui brûle (…) ; les Australiens sont de très grands pollueurs, méprisant leur environnement, au prétexte que leur continent est si vaste qu’ils peuvent se permettre tous les excès (…) D’autres incendies ont aussi dévasté, l’an passé, l’Amérique du Sud, l’Indonésie, la Sibérie ou encore l’Alaska (…). » Sécheresses et incendies, pluies diluviennes et inondations, déforestation, pollution des fleuves et des océans par les plastiques, stérilisation des sols, etc. : « Nos excès sont nombreux et détruisent tout aussi méthodiquement notre environnement que le CO2 »(1). Lanceuse d’alerte, Élisabeth Ayrault !
Il faut dire qu’en tant que gestionnaire du fleuve Rhône, qui vit aussi au rythme des changements climatiques, elle sait de quoi elle parle. D’autant qu’en créant en 2014 l’Initiative pour l’avenir des grands fleuves (IAGF), la CNR a élargi sa vision : « Les guerres de l’eau sont en gestation ; l’eau douce est très mal répartie sur le globe et cela va provoquer des luttes de pouvoir et des déplacements massifs de population. » Au sein de l’IAGF, des archéologues, des architectes, des spécialistes des religions ou de la biodiversité dialoguent sur la pollution des fleuves et ses effets sur la santé, la submersion des deltas, l’agriculture en manque d’eau, etc.
Plus lucide que catastrophiste
Élisabeth Ayrault se dit lucide plutôt que catastrophiste. « Elle a mille fois raison ! », insistait le préfet avant d’ajouter : « On prévoit déjà une diminution du débit du Rhône d’ici 2050 jusqu’à la moitié de son débit actuel. » Le Rhône, justement, axe de communication majeur mais sous-utilisé : « Tant que nous continuerons de raisonner en termes de prix, le transport routier aura toujours l’avantage sur le transport fluvial. Dès que nous raisonnerons en coût global, en prenant en compte l’impact sur l’environnement, les conditions de circulation, la météo, alors le transport fluvial se révélera plus fiable et plus avantageux. » Et plus écologique. Plus de vingt ans après l’abandon du projet de canal Rhin-Rhône, le propos a une saveur amère.
(1) Lire à ce propos : « Atlas de l’anthropocène », par François Gemenne, Aleksandar Rankovic et Atelier de cartographie de Sciences Po. Ed. Presses de Sciences Po, 2019.
Cet article a été publié dans le numéro 2399 de Bref Eco.