Créée en 1821, la Compagnie des Guides de Chamonix doit adapter ses activités face aux changements climatiques.
Plus de 200 ans après sa création, la Compagnie des Guides de Chamonix aborde le changement climatique comme une cordée
affronte une météo incertaine à haute altitude : en s’adaptant en
collectif. Témoins privilégiés des prémices du bouleversement et déjà victimes de ses impacts, les guides collaborent avec les scientifiques, transforment leur métier et leurs prestations. Et informent leurs clients.
La montagne se réchauffe deux fois plus vite que la plaine. Dans le massif du Mont-Blanc, des touristes venus du monde entier constatent à l’œil nu l’inexorable rétrécissement de l’emblématique mer de glace, alors que le
volume global des glaciers a diminué de 70 % depuis 1850. Ici, des chutes de séracs ou des éboulements perturbent l’activité humaine, celle des guides en particulier.
Nous vivons ici toute l’année et connaissons intimement le massif que nous voyons changer en direct.
L’été dernier, la compagnie, qui a déjà limité certaines excursions, a dû suspendre des courses par la voie du Goûter, trop exposée. « Le réchauffement climatique impacte nos activités et transforme notre milieu de vie, précise Olivier Gréber, guide de haute montagne et président de la Compagnie des Guides de Chamonix. Nous vivons ici toute l’année et connaissons intimement le massif que nous voyons changer en direct ». Précieux témoins des effets du réchauffement, sur le terrain, les guides et accompagnateurs de la compagnie chamoniarde collaborent régulièrement avec des scientifiques.
Expérience de la sobrieté
Les professionnels de la compagnie ne se contentent pas d’observer et de rapporter leurs constats. Ils modifient également leurs pratiques afin de limiter leur impact sur l’environnement. « Au niveau de la Compagnie, c’est un devoir, argumente Daniel Rodriguez, son directeur. Lors de nos 200 ans, en 2021, nous avons symboliquement lancé un livret, écrit avec des scientifiques, qui croise notre histoire et celle du réchauffement et des adaptations que nous mettons en place ».
En 2020, le bilan carbone de la Compagnie indiquait ainsi que les principales émissions sont liées aux transports — jusqu’à 96 % en prenant en compte les émissions indirectes — certains clients venant de l’autre côté du globe. L’association ne fait désormais plus d’effort commercial pour vendre des séjours nécessitant de longs courriers, ni ne participe à des salons au bout du monde. De même, elle ne commercialise plus de courses au Tibet ou en Norvège, se restreignant à un rayon d’une soixantaine de kilomètres autour du massif, ni de produits nécessitant des déplacements en hélicoptère. « Les guides, qui sont des travailleurs indépendants, demeurent tout de même libres de choisir leurs propositions », pointe le directeur.
Sensibiliser et s'adapter
Autres actions sur les mobilités, poursuit le président Olivier Gréber, « nous allons essayer de systématiser les déplacements en véhicule électrique ou les transports en commun pour acheminer nos clients entre leur lieu d’hébergement et leur site de pratique. C’est assez à contre-courant de leur demande car ils préfèrent en général qu’on vienne les chercher. Mais les choses changent ». Et, commente Daniel Rodriguez, « il est essentiel de sensibiliser nos clients aux émissions. Nous leur proposons par exemple de calculer leur empreinte carbone ». À part quelques-uns, la plupart sont réceptifs, certains étant même les premiers à aborder le sujet. Pour le président de la Compagnie, « l’adaptation va de soi face au changement climatique. Et c’est l’ADN de notre métier ». Ainsi, de même qu’un guide prend en compte tous les paramètres, météo notamment, pour organiser une course ou l’annuler, modifier son parcours ou sa durée, il se met au diapason de l’évolution rapide du climat pour adapter l’ensemble de leurs pratiques.
Aujourd’hui, face au manque de neige ou à l’érosion des reliefs, nous sommes bien obligés de réfléchir à d’autres activités.
À leur flexibilité traditionnelle s’ajoute aujourd’hui une certaine souplesse organisationnelle quant aux nouvelles conditions, la saison d’alpinisme estival, par exemple ayant tendance à se décaler vers des dates moins chaudes. Dans le même temps, il a fallu diversifier ses activités. Bien sûr, la Compagnie propose toujours de traditionnelles courses vers le Mont-Blanc, des descentes de la vallée blanche à ski, de l’escalade sur les Aiguilles ou des randonnées autour du massif… Mais les propositions se font aussi plus colorées les unes que les autres ; il est ainsi possible de relier les Alpes Valaisannes et Bernoises à cheval, de tenter une via ferrata, de faire du rafting, de l’hydrospeed ou du canoraft, du trail ou du VTT ou, plus paisiblement, de chausser des raquettes pour cheminer tranquillement dans le blanc, avant de déguster un apéritif raclette à la belle étoile. Sans oublier les ateliers juniors, incentives, de team building. « Il y a déjà une vingtaine d’années que nous proposons certaines activités, comme le canyoning ou la via ferrata, dit le président. Aujourd’hui, face au manque de neige ou à l’érosion des reliefs, nous sommes bien obligés de réfléchir à d’autres activités. Et cela pourra permettre aussi aux professionnels qui vivent sur leur territoire d’y travailler à l’année, plutôt que d’être restreints à deux saisons fortes. Cela permet de lisser l’activité, et donc les revenus, sur douze mois ».
Des loups solitaires et solidaires
Quel drôle de métier que celui de guide de haute montagne ! Ces professionnels qui tracent leurs voies eux-mêmes et cultivent une indépendance parfois rugueuse, sont pourtant très liés à leur client, physiquement et économiquement. Au sein de la Compagnie des Guides de Chamonix, ils sont quelque 200 membres, 160 guides et 60 accompagnateurs de montagne (sur 1 700 guides et 3 000 accompagnateurs en France), réunis pour être plus forts face aux difficultés. Créée en 1821, la Compagnie invente dès 1823 sa caisse de secours, afin de venir en aide à ceux qui se blessent, tombent malades ou pour indemniser les familles de ceux qui décèdent. Elle finance aujourd’hui des frais exceptionnels de congés maladie ou d’intervention délicate et, toujours, accompagne des familles endeuillées.
De même, s’ils restent indépendants, l’appartenance à une compagnie leur permet de se constituer une clientèle et de proposer des packages clés en main à leurs clients avec course (pour eux), mais aussi transports, hébergement, repas… La Compagnie réalise cinq à six millions de chiffre d’affaires par an, avec une moyenne de 8 500 journées guide par an, stable depuis dix ans, selon le président, malgré la météo et le climat.