Le futur campus d'EM Lyon à Gerland. Un projet financé par un emprunt de 130 millions d'euros.
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Ce vendredi 14 octobre, la Chambre régionale des Comptes (CRC) a vertement épinglé l'école de management lyonnaise sur sa gestion couvrant la période 2014-2021. Elle lui reproche notamment le coût « exorbitant » et les risques liés à son changement de statut lors de l’ouverture de son capital à un fonds d'investissement. Et face à certains « contrats passés sans publicité et sans mise en concurrence », le procureur financier de la CRC a saisi la Justice.
Bernard Lejeune, président de la Chambre régionale des Comptes (CRC), a d'emblée précisé qu'il s'agissait « d'un gros contrôle qui a pris du temps et mobilisé de grosses équipes », compte tenu des « trois entités juridiques différentes » en cause que sont la CCI Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne (CCI), l’Association de l’enseignement supérieur commercial Rhône-Alpes (AESCRA) et la société Early Makers Group (EMG).
Le montage a représenté 8,5 millions de frais. C’est coûteux pour lever 40 millions d'euros !
La Chambre régionale des Comptes s'est intéressée à la période allant de 2014 à 2021 - les années Bruno Bonnell, Bernard Belletante et dans une moindre mesure Tawid Chtioui - où l'école s'est réorganisée pour permettre l’ouverture de son capital. Si la CRC ne « critique pas le choix » de l'école d'être passée du statut d'association à celui de société anonyme, elle remet en cause son montage financier « complexe et coûteux qui a entraîné des risques ».
« Le montage a représenté 8,5 millions d'euros de frais, constitués essentiellement d’honoraires de prestations de conseils juridiques et d’assurance, souligne Bernard Lejeune. C’est coûteux pour lever 40 millions d’euros ! », a-t-il ajouté, faisant référence à l’entrée au capital de Qualium, en 2018, un fonds qui s’est récemment retiré de l’école au profit de Galileo Global Education.
Cet apport n’a, pour l’heure, été d’aucune utilité au développement de l’école
Et d’ajouter que « l’utilité d’un tel montage est loin d’être démontrée. En effet, aucun investissement n’a été réalisé jusqu’à présent par la société EMG avec les liquidités procurées par l’apport en fonds propres des investisseurs, de sorte que cet apport n’a, pour l’heure, été d’aucune utilité au développement de l’école ».
L'opération est également qualifiée de risquée à plus d’un titre par la Chambre régionale des Comptes qui évoque des risques financiers et fiscaux voire pédagogiques. Car c’est le caractère consulaire de l’école qui garantit l’homologation automatique de ses diplômes. Si, selon les Autorités académiques, les 57 % du capital détenus par la CCI suffisent à lui assurer ce « label » consulaire pour le moment, la CRC pointe tout de même que « de fortes incertitudes perdurent pour les années à venir, notamment quant aux intentions des investisseurs, à l’évolution de l’actionnariat et au maintien à terme du statut d’école consulaire. La chambre invite fortement la CCI et l’école à clarifier leurs objectifs et leur stratégie ».
Des « points lourds » sur le campus marocain et le contrat avec IBM
Au-delà de l'ouverture du capital à un fonds privé, la CRC s’est également intéressée à la gestion de l'école dans son ensemble. Deux « points lourds » sont montrés du doigt. D'une part, la gestion des campus, notamment celui du Maroc où « un montage juridique très risqué a été mis en place avec une personne physique et non une institution ». Un projet opaque où l’école a clairement perdu de l’argent. « L’école en a tiré elle-même les conséquences en initiant un processus de sortie au profit d’un partenariat avec une université marocaine », ajoute la CRC. D'autre part, le chantier des nouveaux systèmes d’information de l’école. Le « partenariat » passé dans ce cadre avec IBM a coûté 26 millions d’euros à l’école. « Nous voyons cela comme un marché public plutôt qu’un partenariat », ajoute encore la CRC qui parle d’un projet « déséquilibré ».
IBM référé devant le tribunal de commerce de Paris
« Pour une école importante et reconnue, on estime qu’il y a eu une gestion négligée sur certains dossiers ». Et d’ajouter : « Nous avons le sentiment que les équipes actuelles ont conscience des points de vigilance », faisant référence à l’arrivée d’Isabelle Huault à la tête de l’école à l'été 2020. À ce propos, EM Lyon a récemment assigné la société IBM en référé devant le tribunal de commerce de Paris, afin d’obtenir une expertise de nature à établir les manquements contractuels d’IBM et les préjudices subis par l’école.
Des rémunérations en question
Autres sujets épinglés par la CRC : le départ de Tawid Chtioui (2019–2020) qui, après une rupture conventionnelle, a bénéficié de 573 000 euros d’indemnités. Et deux conventions de prestation signées avec la société unipersonnelle de Bernard Belletante, pour 120 000 euros, alors qu’il était président du conseil de surveillance de l'école. « Ces deux contrats lui ont permis de continuer à percevoir une rémunération jusqu’à leur résiliation en date du 16 octobre 2019. Les protocoles transactionnels conclus pour les résiliations ont accordé à M. Belletante une indemnité de 40 000 euros au titre de chacune des deux conventions. Aucun document attestant de la réalité de ces prestations n’a été produit à la chambre, mais lors de la contradiction il a été établi que ces conventions avaient pour objet de pallier l’absence de rémunération des fonctions de membre du conseil de surveillance et de gérant de la SCI emlyon 2022 », indique le rapport de la CRC.
En conclusion, Denis Larribau, procureur financier CRC Auvergne-Rhône-Alpes, a annoncé qu’il saisissait la Justice sur six contrats douteux, sous les chefs de « délit de favoritisme », « abus de confiance » et « recel ». Le contrat avec IBM fait également l’objet d’un signalement.