Laurent de la Clergerie, président du directoire de LDLC.com.
Marie-Eve Brouet
LDLC, société lyonnaise de vente à distance et en boutique de matériel informatique et high-tech, a jeté un pavé dans la mare début juillet en annonçant passer à 32 heures hebdomadaires… payées 35. Si la mesure n’a rien à voir avec la crise sanitaire comme l’explique Laurent de la Clergerie, président du directoire, elle pourrait être le symbole d’un monde de demain.
Bref Eco : Avec l’annonce de la semaine des quatre jours, vous passez un nouveau cap en matière de qualité de vie au travail…
Laurent de la Clergerie : Nous avons toujours travaillé dans ce sens. En 2005, l’entreprise que nous avions créée sans beaucoup de réflexion a connu un gros problème logistique qui nous a contraints à nous structurer. Et puis, en 2017, je me suis rendu compte que nous étions trop structurés et que nous nous perdions. J’ai lu à cette époque le livre d’Alexandre Gérard sur l’entreprise libérée qui m’a ouvert l’esprit. Aujourd’hui, nous ne sommes pas une entreprise libérée mais nous sommes dans cette mouvance.
Bref Eco : Qu’avez-vous mis en place concrètement ?
Laurent de la Clergerie : Il y a deux ans, nous avons d’abord créé des postes de coaches pour accompagner le changement ainsi que les questions du quotidien. Puis des facilitateurs, qui sont là pour cadrer les réunions et assurer une communication non violente. Le véritable changement avait été imaginé pour mars 2020 mais j’ai finalement décidé de l’amener progressivement : la suppression des directeurs. Ainsi, lorsqu’ils partent, ils ne sont pas remplacés. Les équipes (douze personnes maximum) élisent en leur sein un leader, qui n’a pas d’autorité sur elles. Parallèlement, nous avons supprimé les primes pour proposer un salaire moyenné.
Bref Eco : Le dernier étage de la fusée, ce sont donc les 32 heures payées 35…
Laurent de la Clergerie : J’avais l’idée de ne plus compter les jours de vacances. Mais avec mille personnes, c’était un peu compliqué à mettre en œuvre. J’ai ensuite lu que Microsoft avait testé avec succès la semaine des quatre jours pendant un mois au Japon et j’ai décidé de prendre cette option. Il faut bien avouer que l’intensité du travail les vendredis après-midi est moyenne. Nous ne perdons pas grand-chose. En revanche, je suis sûr que le jour libéré est gagnant pour les salariés : cela va permettre à chacun de prendre les rendez-vous qu’on n’arrive jamais à caler, de faire des courses, du sport… Et du coup, de passer du vrai temps de qualité les soirs et le week-end. Autre conséquence : les temps partiels à 80 % n’existent plus. Et les collaborateurs en logistique, qui ne pouvaient pas faire d’heures supplémentaires le week-end, pourront les faire un autre jour.
Bref Eco : Le passage aux 35 heures avait déjà créé un tollé au sein du patronat selon lequel cela augmentait les coûts de 11 %…
Laurent de la Clergerie : Les 35 heures avaient cassé les plannings mais pas coûté 11 % de plus. Chez nous, le passage aux 32 heures, qui interviendra en 2021, va nécessiter l’embauche de trente personnes et nous coûtera 1 million d’euros, soit 2 % de la masse salariale. Les treize jours de RTT préexistants sont remplacés par 47 jours « off », en plus des cinq semaines de congés payés. Pour tout vous dire, le million d’euros en question, nous l’avons déjà regagné en visibilité…
Bref Eco : Vous n’allez cependant pas vous faire que des amis avec cette mesure…
Laurent de la Clergerie : L’un de mes actionnaires me rapporte que certains patrons se demandent qui est ce « gaucho » à la tête de LDLC ! Je ne suis pas de gauche car je trouve que c’est une option trop anti-économique. Mais cela n’empêche pas d’être social. Et je suis sûr que le social n’est pas un handicap pour l’entreprise. On a d’ailleurs pu constater que le cours de Bourse a baissé au début, puis qu’il remontait. Si la mesure fonctionne bien, on peut même penser que la bourse va « sur-aimer » et que notre modèle sera le modèle à copier.
Bref Eco : Peut-être qu’un jour, Alexandre Gérard lira le livre de Laurent de la Clergerie…
Laurent de la Clergerie : Peut-être (rire). J’ai par exemple des idées sur les raisons pour lesquelles de grandes entreprises comme Carrefour ne sont pas rentables. Mais il faudra que je me fasse aider !
SES TROIS IDÉES-CLÉS POUR LE REBOND
Propos recueillis par Alban Razia
Cet article a été publié dans le numéro 2422 de Bref Eco.