La dirigeante de Mecelec, une entreprise industrielle qui transforme des matières composites pour fabriquer des pièces industrielles, croit en une industrie européenne forte. A certaines conditions…
Bref Eco : Votre activité a-t-elle retrouvé son rythme normal, depuis le déconfinement ?
Bénédicte Durand : Oui, et cela s’est fait rapidement, depuis le 11 mai. Notre niveau d’activité est aujourd’hui supérieur à la normale. Les commandes sont reparties et le retard est en train d’être rattrapé. Notre outil de production, qui tourne à plein régime (3x8 sur 6 jours/semaine), a du mal à répondre à la demande. Nos clients n’ont pas décalé leurs besoins… et ils sont pressés !
Bref Eco : Pendant trois mois, la paralysie de l’économie mondiale a bloqué la supply chain dans beaucoup de secteurs industriels internationalisés. En avez-vous souffert, vous aussi ?
Bénédicte Durand : Oui, même si 56 % de nos achats se font en Auvergne-Rhône-Alpes et que cette proximité facilite les choses. Nous nous sommes rendu compte de l’importance qu’avait chacun de nos fournisseurs pour notre activité, ce dont nous n’étions pas toujours conscients. Nous en avons d’ailleurs profité pour remettre à plat la cartographie de notre chaîne d’approvisionnement. Le point faible concernait, clairement, le sourcing de certaines pièces, qui étaient considérées comme des commodités, entrant dans la composition de nos équipements : certains de nos fournisseurs sont très proches de nous, d’autres sont installés en région, le reste à l’étranger. Il nous faut revoir tout cela dans la perspective de tout « double-sourcer », pour mieux sécuriser nos approvisionnements en cas de problème. Et cela concerne la France comme l’étranger : même pour des pièces décolletées en Haute-Savoie, nous avons eu des problèmes à cause de l’arrêt de la production de nos fournisseurs !
Bref Eco : Le « monde d’après » passe donc par une autre chaîne logistique ?
Bénédicte Durand : Oui, sans doute, même si dans la mondialisation, tout n’est pas à jeter. Mais quand on décide d’acheter des pièces au bout du monde, les calculs doivent être complets, tenir compte de tous les coûts masqués. Et il y en a ! Alors, je suis persuadée que nous pouvons développer une industrie française et européenne performante et compétitive.
Bref Eco : On parle beaucoup de relocalisation. Vous y croyez, donc ?
Bénédicte Durand : Je le répète : l’industrie peut avoir toute sa place en Europe et en France. Mais elle n’a un avenir que si elle est compétitive et apporte de la valeur ajoutée, tout en construisant un monde plus respectueux des individus et de l’environnement. Or, il faut le reconnaître : l’outil industriel français est en retard technologique. Car si de nombreux grands groupes industriels sont à la pointe de la technologie, comme l’automobile par exemple, trop de PMI n’ont pas assez investi. L’Etat doit être conscient de cette réalité française et donner une impulsion : par exemple en allégeant les impôts liés à la production, aujourd’hui confiscatoires, ou en aménageant la fiscalité pour permettre aux entreprises de se moderniser plus rapidement.
Bref Eco : Le télétravail est-il à l’ordre du jour, chez Mecelec ?
Bénédicte Durand : Nous en avons fait, bien sûr, depuis mars, pour les fonctions administratives. Mais je dois dire que les interactions ont manqué à tout le monde, sans compter que le télétravail, cette façon d’avoir en permanence un mélange entre vie professionnelle et vie privée, n’est pas facile à gérer pour tous les collaborateurs. Dans la vie de l’entreprise, les discussions autour de la machine à café sont indispensables, y compris pour moi-même car il s’y échange beaucoup d’informations très utiles. Pour cela, dans l’avenir, il ne faut pas se tromper : la priorité doit être la présence au bureau. Un jour de télétravail par semaine me semble être raisonnable.
Bref Eco : Le monde d’après, c’est aussi la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) qui pourrait trouver un nouvel élan, après la Covid. Qu’en pensez-vous ?
Bénédicte Durand : Chez Mecelec, nous travaillons le sujet de la RSE depuis plusieurs années. Pour moi, elle est une évidence. Et la période que nous venons de traverser ne peut que renforcer ma conviction. Les collaborateurs ont besoin de trouver du sens dans ce qu’ils font. La RSE, il faut donc y aller, même si cela ne s’improvise pas, même si ce n’est pas si simple. Sans compter que c’est un engagement qui pourrait peser, dans un avenir proche. N’oublions pas que les mois à venir verront augmenter fortement le chômage, et les cadres ne seront pas épargnés. Il faudra donc rendre nos métiers industriels plus attractifs pour ceux qui voudraient nous rejoindre. Plus attractifs et donc plus responsables et respectueux.
SES TROIS IDÉES-CLÉS POUR LE REBOND
Propos recueillis par Didier Durand
Cet article a été publié dans le numéro 2422 de Bref Eco.