Une véritable philosophie se cache derrière le mot "innovation". Une philosophie dont nos dirigeants politiques se sont emparés.
De passage à Lyon, il y a quelques jours, pour une conférence organisée dans un amphithéâtre de l’Idrac par les DCF (Dirigeants Commerciaux de France), le philosophe et ancien ministre Luc Ferry lançait à son auditoire : “Ce qui va nous sauver, ce n’est pas la décroissance ; c’est l’innovation. Même si elle déstabilise le monde ; même si elle peut être formidable et, en même temps, destructrice. Gutenberg a détruit l’activité des copistes… avant de permettre la création de millions d’emplois dans les métiers liés à l’imprimerie”. Vitale, l’innovation, mais angoissante aussi : c’est le dilemme que n’a pas encore résolu la France, selon Ferry, dans un 20ème siècle de déconstruction (artistique, sociale, économique) comme jamais l’Europe n’en a connue.
Le philosophe en a aussi profité pour remettre Schumpeter au goût du jour. Il n’est pas le premier, tant l’économiste autrichien (1883-1950), prophète de l’innovation, penseur de la “destruction créatrice” (Ferry préfère, lui, parler “d’innovation destructrice”, plus optimiste), reste d’actualité. L’innovation comme moteur de la croissance, qui rend obsolète tout ce qui est ancien. Et qui, quand elle s’essouffle, aboutit à une crise… avant de reprendre le dessus et de relancer l’économie pour un nouveau cycle. L’informatique a ainsi permis l’expansion des années 1980 et 90. Aujourd’hui, les schumpétériens sont nombreux à penser que le numérique haut débit et ses avatars (cloud et big data, mobilité, objets connectés, communautés et collaboratif, crowdfunding) annoncent le prochain cycle capitaliste.
Illustrant à sa manière la révolution du numérique, Michel Serre lançait, quant à lui, dans une interview récente au Figaro : “Je reviens d’un voyage en Asie, et j’ai vu dans le métro, à la place des affiches publicitaires, des figurines qui permettaient aux usagers de passer commande à l’aide de leur portable. Ils se faisaient ensuite livrer. L’économie, le travail, les loisirs, tout va être bouleversé... Nous avons dépensé des millions d’euros pour construire La Très Grande Bibliothèque de Paris, alors que les nouveaux outils numériques nous apportent tous les livres à domicile”.
L’innovation, ce n’est pas que de la technologie ou du service. C’est aussi de la philosophie. Même la classe politique s’en est emparée. Quelques semaines après avoir présenté le rapport de la Commission Innovation 2030 qu’elle préside, Anne Lauvergeon lançait, la semaine dernière, un concours mondial d’innovation, soutenu très officiellement par le Président de la République, et destiné à faire émerger les futurs leaders de l’économie française. C’est une petite start-up lyonnaise, Glowbl, qui a géré le “chat vidéo” organisé à l’occasion, un marché remporté au nez et à la barbe de… Google. Comme quoi la France a des ressources !
Didier Durand
Bref Rhône-Alpes n° 2142 du 12/12/2013
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