Heïdi Sevestre : " Il y a un lien d’impact direct entre les glaciers et notre quotidien"
Ragnhild Utne for Helly Hansen
Docteure en glaciologie, Heïdi Sevestre a grandi dans le village de Gruffy, en Haute-Savoie, avec le Semnoz et les Aravis comme terrains de jeu. Fille des montagnes, elle se prend de passion pour les glaciers. Ce sont « les meilleurs baromètres du climat qui soient », répète à l’envi celle qui, en tant que scientifique, s’est donné comme responsabilité « d’alerter sur les conséquences du réchauffement climatique et sur le risque de ne rien faire ».
3 octobre 2024. 300 collaborateurs de 105 entreprises de la région Auvergne Rhône-Alpes sont réunis à l’Hippodrome de Lyon-Parilly pour vivre l’expérience de la CEC (Convention des entreprises pour le climat). Pendant deux jours, ces dirigeants et cadres vont écouter les meilleurs experts leur parler des conséquences du réchauffement climatique. Parmi eux, Heïdi Sevestre, glaciologue pour le Conseil de l’Arctique, est venue leur expliquer le « lien direct entre les glaciers et notre quotidien ».
Pour cette native de Haute-Savoie, la passion des glaciers remonte à une rencontre déterminante. Petit retour en arrière : nous sommes au lycée agricole de Poisy, où Heïdi Sevestre est étudiante. Elle y rencontre alors le glaciologue Claude Lorius, venu faire une présentation dans sa classe. « Ce moment m’a bouleversée », se souvient-elle, évoquant celui qui, le premier, « a révolutionné ce que les glaciers nous racontaient. Grâce à la glace et aux bulles d’air qu’elle contient, c’est 800.000 ans d’histoire de la planète que nous pouvons étudier. Nous sommes capables de voir que si les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont toujours changé, elles se sont véritablement densifiées depuis les années 1950 »
Un constat sans appel
Et le constat est sans appel: «Sans les humains, il n’y aurait actuellement pas de réchauffement climatique. L’origine du dérèglement climatique est non discutable, notamment au regard de la consommation d’énergies fossiles », explique la scientifique qui a donc fait de l’étude des glaciers son métier. Celle qui garde toujours près d’elle une photo sépia de son arrière-grand-mère sur la mer de glace prise en 1916 sait mieux que quiconque les conséquences du réchauffement climatique sur les glaciers. La planète a perdu 45 % de la surface de la banquise en quarante ans, soit l’équivalent de l’Inde. « Les températures estivales extrêmes sont terribles pour les glaciers qui ne se rechargent plus. Or, ils sont les châteaux d’eau de la planète. Ce sont les meilleurs climatiseurs qui soient ! Il y a un lien d’impact direct entre les glaciers et notre quotidien ».
Il faut s’énerver et vite !
Les conséquences de la fonte des glaciers sont très concrètes : « Dans la région, en 2003 pendant la canicule, il avait été mesuré que 40 % de l’eau du Rhône venait des glaciers qui lui ont permis de maintenir son niveau. Et le monde économique et agricole s’est habitué à ce niveau... qui va baisser pendant les mois d’été ! Il faut anticiper tout cela car on va perdre en quantité, en qualité et en saisonnalité d’eau, sans parler des sujets de tension à prévoir entre la France et la Suisse », explique la glaciologue qui veut alerter sur l’urgence d’agir : « Aujourd’hui, on sait que c’est déjà fichu pour 40 à 50 % des glaciers de la planète, mais on peut encore essayer de sauver les 50 % restants en arrêtant de penser qu’on a le choix d’agir. On n’a pas le temps de ne rien faire. Il faut s’énerver et vite ! Plus on perd de la banquise, plus on aura des événements climatiques extrêmes et intenses », martèle la scientifique.
« Les océans polaires sont les meilleurs puits de carbone sur Terre (l’eau froide dissout mieux le CO2). Or, le phénomène d’acidification intense affecte ce pouvoir de captation. Il faut investir pour anticiper et non pour juste réparer», ajoute celle qui croit au pouvoir d’agir des entreprises : « Elles sont un levier d’action incroyable si elles utilisent ces informations comme moteur du changement, par amour pour leur territoire. Le dernier rapport de synthèse du GIEC nous dit qu’on peut encore éviter le pire, si on agit maintenant ».
Et la montagnarde de citer l’explorateur Robert Swann : « La plus grande menace pour notre planète est de penser que quelqu’un va la sauver ».
« Les Alpes se réchauffent deux fois plus vite que le reste du territoire français »
Le réchauffement climatique touche particulièrement les Alpes qui se réchauffent deux fois plus que le reste du territoire français*. Mais Heïdi Sevestre, amoureuse des massifs enneigés, veut envoyer un message d’espoir à l’écosystème montagnard. « Il est encore temps d’agir. On a besoin de tout le monde pour faire bouger les lignes mais on a aussi besoin de premiers de cordée, ceux qui montrent la voie. Aujourd’hui, les stations de ski ont l’occasion d’être fières de ce qu’elles font. Je les encourage à garder les portes ouvertespour,ensemble,réinventerlamontagne».
Heïdi Sevestre a signé la préface du livre « Réinventons la montagne : Alpes 2030 : un autre imaginaire est possible » écrit par Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness France, une association dont le but est la sauvegarde des milieux montagnards.
* Selon un rapport récent du réseau Action Climat, Lyon et Annecy sont les deux villes françaises qui seront les plus impactées par la hausse des températures, avec des moyennes similaires à celles de Madrid en 2050 et d’Alger en 2100 pour la ville de Lyon.
Cet article est issu de notre hors-série « Les Champions de la montagne, à retrouver ici.