Paul-Olivier Klein
L’activité économique pollue. Mais selon la gouvernance et la stratégie d’une entreprise, les niveaux de pollution sont variables. Paul-Olivier Klein, Maitre de Conférences en Finance à l’iaelyon et chercheur au laboratoire Magellan-iaelyon, met en avant les performances environnementales des entreprises familiales. Il propose une perspective nouvelle sur le rôle de ces entreprises dans nos sociétés.
« En moyenne, chaque million de dollars de revenus génère directement 124 tonnes de CO2, sans prendre en compte les émissions indirectes. Les entreprises non familiales génèrent 144 tonnes de CO2 par million de dollars de revenus, quand les entreprises familiales en génèrent 83 tonnes, soit une différence assez conséquente », note Paul-Olivier Klein.
Ces chiffres émanent des recherches qu’il a mené avec Marcin Borsuk (New-York University), Nicolas Eugster (University of Queensland) et Oskar Kowaleski (Iéseg School of Management), en analysant des mesures précises effectuées par des cabinets spécialisés et non uniquement déclaratives, de 6 610 entreprises implantées dans 44 pays, entre 2010 et 2019, tous secteurs confondus (pétrole & gaz, matériaux, industrie, biens de consommation, services aux consommateurs, santé, technologie et télécommunications). « Dans nos économies, près de 90 % des entreprises sont familiales avec, à l’origine, une personne et une famille, dit le chercheur. De la boulangerie à la très grande entreprise, la majorité est à capitaux familiaux. L’échantillon à la base de nos recherches se focalise sur les entreprises cotées et compte 33 % d’entreprises familiales, toujours gouvernées par leurs fondateurs ou leurs descendants ou dont la famille détient encore une part non négligeable du capital. »
De génération en génération
Paul-Olivier Klein et ses coauteurs soulèvent la question : « Pourquoi observe-t-on des niveaux de pollution différents d’une entreprise à l’autre lorsqu’elles exercent dans le même secteur d’activité, au sein d’un même pays et qu’elles présentent des caractéristiques financières similaires ? »
Le groupe de chercheur avance plusieurs explications. La première est la vision de long terme, familiale et patrimoniale de ces entreprises qui œuvrent depuis et pour plusieurs générations avec des conseils d’administration aux mandats longs. Ils ont estimé qu’il faut en moyenne 8 ans de mandat pour commencer à observer une réduction significative des émissions de CO2. « Leurs stratégies financières familiales s’inscrivent davantage sur le long terme, dans un objectif de transmission à la génération suivante et un souci d’impact de son activité aujourd’hui et demain, détaille Paul-Olivier Klein. Elles sont aussi davantage préoccupées par leur communauté et l’image qu’elles déploient auprès de cette communauté. » Au-delà de la maximisation du profit financier, qui n’est pas leur moteur premier, les entreprises familiales souhaitent être reconnues pour leur impact positif sur l’environnement et plus globalement sur la société. « On peut évoquer la théorie socio-émotionnelle de la valeur », ajoute le chercheur.
Basculement à l’embauche d’un PDG externe
L’étude révèle aussi que ces entreprises vertueuses ne font pas étalage de leurs performances en faveur de l’environnement. Elles affichent très peu ces niveaux de pollution bas. Elles sont « discrètement plus vertes ». Elles agissent, parfois même sans une stratégie environnementale très claire, et communiquent peu sur leurs résultats. « C’est un paradoxe inattendu : bien que moins carbonées, les entreprises familiales affichent des scores environnementaux, sociaux et de gouvernances (ESG) plus faibles, y compris les seuls scores environnementaux », révèle Paul-Olivier Klein.
Et tout change quand un PDG externe à la famille est embauché : elles commencent alors à obtenir de meilleurs scores ESG, à s’engager publiquement à réduire leurs émissions ; cependant, c’est aussi avec l’arrivée d’un PDG externe que la pollution des entreprises familiales augmente. C’est lorsque les entreprises communiquent et s’engagent le plus sur l’environnement, qu’elles voient leurs performances environnementales se dégrader. Entre nécessité de rassurer l’actionnariat et greenwashing, il ne semble alors y avoir qu’un pas.
Paul-Olivier Klein dévoile la conclusion au regard de ces résultats : « L’affichage environnemental peut donner un mauvais signal de l’impact réel. Les investisseurs ainsi que les régulateurs devraient préférer s’appuyer sur des données d’émissions concrètes à des déclarations environnementales non contraignantes, au risque de n’avoir que peu d’effets climatiques réels. »
Cet article a été publié dans le magazine Connect'iaelyon, rubrique La recherche en action | Paul-Olivier Klein.