Paulette Duarte est maître de conférences en urbanisme à l’Université Grenoble-Alpes.
A l'occasion du salon Global Industrie Paris, nous sommes allés à la rencontre d'acteurs qui font vivre et étudie l'industrie en Auvergne-Rhône-Alpes. Rencontre avec Paulette Duarte, maître de conférences en urbanisme à l’Université Grenoble-Alpes, qui a cosigné l'étude « Foncier industriel et stratégies publiques locales : une articulation imparfaite », du think tank La Fabrique de l’Industrie*. Selon le rapport remis au gouvernement par Rollon Mouchel-Blaisot le 25 juillet 2023, les objectifs de réindustrialisation de la France exigent l’aménagement de 22.000 hectares d’ici 2030. À côté des projets de gigafactories, d’autres entreprises industrielles, plus petites, auront besoin de terrains. Mais l’accès au foncier est de plus en plus difficile…
Bref Eco : La réindustrialisation va nécessiter beaucoup de terrains à vocation industrielle. Les collectivités seront-elles prêtes à en libérer assez ?
Paulette Duarte : Notre étude s’est focalisée sur les PMI-PME et les TPE, excluant les très grandes surfaces nécessaires aux gigafactories. Bien sûr, les situations sont très différentes d’un territoire à l’autre, d’une ville à l’autre. Une chose est sûre : dans l’absolu, l’offre de foncier n’est pas extensible, sans compter qu’un certain nombre de contraintes, avec lesquelles les industriels et les collectivités qui les accueillent doivent compter, rendent l’exercice encore plus difficile.
De quelles contraintes parlez-vous ?
P.D. : Aujourd’hui, on ne peut plus artificialiser les sols à l’envi, notamment en regard de la loi ZAN (Zéro artificialisation nette) qui va être un véritable casse-tête pour les collectivités locales face aux demandes de logements et de locaux d’entreprises. Autre difficulté, la mixité des activités, surtout dans les zones urbanisées : les nuisances (sonores, olfactives, circulation de poids lourds…) de certaines activités industrielles les rendent incompatibles avec des logements, par exemple, voire avec d’autres sites industriels.
Quelles réponses les collectivités peuvent-elles apporter face à une éventuelle pénurie de foncier ?
P.D. : Elles peuvent envisager la requalification de friches industrielles, par exemple, comme sur Valence Romans Agglomération dont la stratégie de requalification de surfaces vacantes est claire sur ce point, même si ces opérations ont des contraintes (dépollution, voisinage…). Autre solution possible : les constructions en hauteur. Plusieurs entreprises industrielles nous ont confié ne pas être hostiles à l’installation d’activités de production ou de stockage sur plusieurs niveaux.
Beaucoup de petites entreprises passent encore sous les « radars ». La collectivité ne les connaît pas très bien, ne sait pas quels sont leurs besoins en foncier et en immobilier
Selon votre étude, les collectivités méconnaissent les besoins des entreprises. Surprenant, non ?
P.D. : L’agglomération de Valence, par exemple, est dotée d’un service économique compétent, structuré et actif, qui a clairement la volonté d’être proche des entreprises de son territoire. Toutefois, beaucoup de petites entreprises passent encore sous ses « radars ». La collectivité ne les connaît pas très bien, ne sait pas quels sont leurs besoins en foncier et en immobilier. Parallèlement, les entreprises ne savent pas toujours à qui s’adresser en cas de besoin en foncier, où trouver les bons interlocuteurs. Beaucoup ignorent même qu’il existe un service économique à Valence Romans Agglomération.
Beaucoup d’élus locaux se sont longtemps désintéressés de l’industrie. Est-ce encore le cas ?
P.D. : Sur Valence Romans, un territoire très marqué par l’industrie, les élus locaux sont sensibles à la réindustrialisation. Ils s’intéressent aux activités innovantes générant des emplois, en lien avec l’histoire du territoire (maroquinerie, agroalimentaire, etc.), et pas seulement aux services. D’une façon plus générale, en dehors des activités potentiellement polluantes, l’industrie n’est plus rejetée dans la mesure où elle a beaucoup progressé dans sa manière de produire, dans ses process.
Le prix du foncier n'est pas forcément prioritaire dans un choix d'installation
Que demandent précisément les entreprises industrielles ?
P.D. : Première observation, plutôt surprenante : le prix du foncier n’est pas forcément prioritaire dans un choix d’installation. D’autres choses passent avant : l’emplacement, la proximité avec les clients ou les fournisseurs, l’accessibilité… Les entreprises veulent que leur implantation soit bien desservie par des axes routiers ou des transports en commun. Elles apprécient d’avoir des lieux de restauration et de services à proximité. Elles sont aussi de plus en plus soucieuses de la qualité de vie au travail, du bien-être des salariés. Enfin, elles recherchent des compétences locales, d’où l’importance d’une main-d’œuvre disponible, bien formée et stable. Car beaucoup se plaignent de voir partir trop rapidement leurs salariés.
Quelles sont les difficultés que les entreprises industrielles rencontrent le plus souvent, dans leurs projets de construction ?
P.D. : Quand elles ont trouvé un foncier où construire, il leur faut faire face à toutes les normes réglementaires (PLU, PC, etc.). Sans parler des délais d’instruction, des permis de construire retoqués et à revoir. Tout cela ralentit les projets.
(*) FONCIER INDUSTRIEL ET STRATÉGIES PUBLIQUES LOCALES : UNE ARTICULATION IMPARFAITE Paulette Duarte, Sylvie Duvillard, Nicolas Gillio et Thierry Petit, Paris, Presses des Mines, février 2024. L’étude porte sur trois territoires : deux en région parisienne (Est Ensemble et Boucle Nord de Seine) et Valence Romans Agglomération.
Cet article a été publié dans le numéro 2575 de Bref Eco