Alexandre Saubot est directeur général délégué du fabricant de nacelles Haulotte et vice-président de France Industrie. Depuis 2014, il milite pour la réduction des impôts de production.
Bref Eco : Comment avez-vous vécu la crise déclenchée par la Covid-19 en tant qu’industriel ?
Alexandre Saubot : Chez Haulotte, on a une certaine expérience en matière de crise. La dernière date de 2009. On sait gérer un groupe par gros temps : réduire la voilure, gérer les fournisseurs, surveiller le cash… Pour nous, cette crise est moins violente que celle de 2009. Car il n’y a pas de crise de liquidités. De notre côté, on a utilisé les mêmes outils que la dernière fois sans avoir eu besoin de faire appel aux dispositifs exceptionnels mis en place par l’Etat, au report de charges sociales ou au prêt garanti notamment.
Bref Eco : Avez-vous utilisé le chômage partiel ?
Alexandre Saubot : Oui, sur une période plus réduite qu’en 2009. Pendant trois semaines pour une part importante des équipes de production et assimilées, et une partie des équipes support. Avec, au milieu, une semaine de vacances pour tous négociée avec les partenaires sociaux. Ensuite, le travail a redémarré en respectant les protections sanitaires qui ont eu un impact significatif sur l’organisation. On a perdu un quart de nos capacités de production. Aujourd’hui, l’impact est plus limité.
Bref Eco : Est-il possible d’envisager des relocalisations industrielles en France ?
Alexandre Saubot : Ça fait maintenant plus de cinq ans que je participe au combat pour redonner à l’industrie toute sa place en France. Il n’y a pas de souveraineté sans compétitivité. L’entrée de la Chine à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) a complètement révolutionné l’économie mondiale. Aujourd’hui, il va falloir choisir dans quels domaines d’excellence nous voulons investir en France. Nous avons des atouts à faire valoir en termes de qualité de travail, d’innovation et d’imagination, de réactivité.
Bref Eco : Quelles mesures prendre pour renforcer l’industrie française ?
Alexandre Saubot : Il faut baisser les impôts de production de 15 milliards d’euros. Le gouvernement a annoncé une baisse pérenne de 10 milliards dès 2021, nous attendons de connaître les détails. Ces impôts, largement perçus par les régions et les communes, sont très pénalisants : c’est de l’argent que les entreprises paient avant d’avoir gagné un euro. Ils sont cinq fois plus élevés qu’en Allemagne. Pour y arriver sans fragiliser les ressources des collectivités territoriales, il faut leur allouer en contrepartie une partie d’un impôt national. On peut même imaginer, comme en Allemagne, de leur affecter une partie de l’impôt sur les sociétés. Cela permettrait de recréer un lien économique fort entre entreprises et collectivités.
Bref Eco : Qu’attendez-vous du plan de relance préparé par le gouvernement ?
Alexandre Saubot : Il faut qu’il aide à l’innovation et à la préparation de l’industrie du futur et qu’il nous donne des outils pour répondre au défi majeur qu’est la transition écologique. Il faut imaginer les solutions techniques qui ne conjuguent pas respect de la planète et décroissance, qui préservent le niveau et les conditions de vie de nos concitoyens. Chez Haulotte, nous développons une gamme de machines totalement électriques, zéro émission. On travaille également sur la propulsion hydrogène. Ce sont des sujets qu’on doit traiter avec engagement et pragmatisme.
Bref Eco : Comptez-vous développer le télétravail ?
Alexandre Saubot : Nous avions signé un accord sur le télétravail avant la crise. Je reste convaincu que le télétravail est un outil utile mais sa généralisation n’est pas la solution. On ne peut pas l’imposer aux salariés, ni à l’entreprise. Attention à ne pas créer de fractures entre ceux qui y ont droit et ceux qui n’y ont pas droit. C’est un outil à manier avec précaution. Le généraliser pourrait entraîner la disparition du sentiment d’appartenance au collectif qu’est l’entreprise. C’est ensemble qu’on porte un projet commun.
Cette crise doit nous conduire à réfléchir aux mobilités, aux temps de trajet. Utiliser les transports collectifs pour se rendre au travail est une bonne idée qu’il faut encourager. Encore faut-il que le parking de la gare d’accueil ne soit pas saturé dès 7h du matin comme cela est trop souvent le cas, ni que cela prenne deux fois plus de temps que la voiture. Comment faire ? Il faut repenser globalement l’organisation des transports, celle de la ville et celle des logements. Sans culpabiliser les gens qui prennent leur voiture pour venir travailler.
SES TROIS IDÉES-CLÉS POUR LE REBOND
Propos recueillis par Vincent Charbonnier
Cet article a été publié dans le numéro 2422 de Bref Eco.