Dr Rosalie Douyon, Responsable du Développement Entrepreneurial et professeur associé en entrepreneuriat et stratégie à l’Esdes/Ucly.
L’intelligence artificielle transforme nos façons de produire, de décider, de créer. En quelques années, elle est passée du laboratoire aux bureaux, des algorithmes aux usages quotidiens. Et pour l’entrepreneur aussi, cette révolution est désormais à l’œuvre.
Ainsi, l’entrepreneur contemporain voit en l’IA un levier stratégique permettant d’innover plus vite et d’optimiser les processus. L’exemple le plus marquant est celui des startups deep tech, ces jeunes entreprises fondées sur des avancées scientifiques ou technologiques de rupture en intelligence artificielle, en robotique, en biotechnologie ou encore en calcul quantique développe des produits plus performants, crée de nouvelles formes de valeur.
Une adoption massive, un besoin de formation
Selon la dernière étude de l’APEC (2025), 35 % des cadres français utilisent déjà l’IA générative au moins une fois par semaine. Un signe fort : les outils comme ChatGPT ou Mistral deviennent des compagnons de travail, aussi naturels qu’un moteur de recherche ou une feuille de calcul. Mais cette adoption rapide s’accompagne d’une soif de compréhension : 72 % des actifs qui utilisent l’IA souhaitent être formés, selon le Centre Inffo (juin 2025). Or seuls 24 % ont eu accès à une véritable formation. Autrement dit, les entreprises avancent à grande vitesse, mais sans toujours maîtriser les codes d’un outil qui redéfinit les compétences du XXIᵉ siècle.
Comme le soulignait Arthur Mensch, cofondateur de la licorne Mistral AI dans son interview accordée au magazine Challenges en juin 2025 : « il y a de plus en plus de demandes d’accompagnement. »
Savoir choisir le bon outil, automatiser les tâches répétitives et évaluer la fiabilité des informations générées deviennent des savoir-faire aussi essentiels que la maîtrise d’un tableur dans les années 1990.
Quand les entreprises prennent les devants
Certaines organisations l’ont bien compris. À titre d’exemple, L’Oréal a lancé en 2023 son propre assistant interne, L’Oréal GPT, aujourd’hui utilisé par plus de 37 000 collaborateurs chaque mois. « L’objectif est de consolider l’ensemble des données sur une seule plateforme et d’accélérer la diffusion de la connaissance », explique Isabelle Gyony-Hovasse, directrice du développement chez L’Oreal. L’entreprise démontre qu’intégrer l’IA, ce n’est pas simplement adopter un outil : c’est réorganiser la manière dont le savoir circule et se partage.
Les acteurs de la tech française ne sont pas en reste. Arthur Mensch, a annoncé en juin 2025 dans son interview à Challenges, plusieurs partenariats avec des écoles de commerce. Former la nouvelle génération d’entrepreneurs à l’usage raisonné de l’IA devient un enjeu stratégique pour la compétitivité nationale.
L’entrepreneur augmenté
Pour l’entrepreneur, l’IA représente avant tout un levier de liberté et de recentrage.
Automatiser la prospection, analyser un marché, gérer la relation client ou produire du contenu : autant de tâches désormais déléguées à la machine. Le temps ainsi gagné peut-être réinvesti dans ce qui ne s’automatise pas, à savoir la vision, la relation et la créativité.
Les travaux du chercheur Cong Doanh Duong (2025), publiés dans la revue Research in Globalization mettent en lumière le lien étroit entre la perception de l’intelligence artificielle et l’intention entrepreneuriale. L’étude révèle que les étudiants dotés d’un fort état d’esprit global et d’une attitude positive envers la valeur de l’IA perçoivent l’entrepreneuriat comme plus désirable et plus réalisable.
Cette double disposition, à la fois cognitive et culturelle, nourrit une intention entrepreneuriale plus marquée et traduit une transformation profonde de la manière d’envisager l’entrepreneuriat international.
La véritable innovation émergera de ceux qui sauront conjuguer intelligence artificielle et intelligence collective.
Mais cette mutation dépasse le seul cadre de l’entreprise : c’est l’ensemble des modèles économiques qui se réinventent. Le groupe Le Monde, par exemple, a franchi en 2024 le cap des 596 000 abonnés numériques. Son président du directoire, Louis Dreyfus, l’affirme : « d’ici 2026, ces revenus couvriront le coût de la rédaction ». Cet exemple illustre combien la transformation numérique est devenue un levier de pérennité économique.
L’entrepreneuriat à l’ère de l’IA est ainsi une aventure de curiosité, d’expérimentation et de responsabilité. La véritable innovation émergera de ceux qui sauront conjuguer intelligence artificielle et intelligence collective. Car si l’IA en est le moteur, l’humain demeure le pilote.
Les outils se multiplient, les usages s’accélèrent. Pourtant, le défi majeur reste à venir : faire de l’IA une alliée responsable, accessible et durable. C’est de ce nouvel équilibre entre technologie et valeurs que dépendra l’avenir d’un entrepreneuriat responsable.
Cette tribune a été publiée par le Dr Rosalie Douyon, Responsable du Développement Entrepreneurial, et professeur associé en entrepreneuriat et stratégie à l’Esdes/Ucly. Elle n'engage que son auteur.
Références