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Samedi 07 Décembre 2024

André Montaud Directeur général du centre technologique Thésame

Maman j'ai peur  !

Publié Le 03.02.2017 À 16H33
Maman j'ai peur  !

« Maman, j’ai peur » ! Voilà une phrase que nous, parents ou grands-parents, avons tous entendue au coucher des tout-petits. Le traitement qui en est fait relève de stratégies particulièrement évoluées pour éviter le prochain réveil brutal vers 3 heures du mat. Une maman électrophile mettra en route la petite veilleuse qui chassera définitivement l’obscurité. Un grand frère protecteur jouera le rôle du chevalier combattant avec courage les démons de la nuit. Un papi rigolard, fera, avec minutie, le tour des recoins de la chambre, vérifiant les dessous de lit, ouvrant les armoires pour conclure que non, il n’y a pas de monstre… ou alors il est parti.

Si nous, les adultes, pouvons user de ces stratagèmes, c’est que « nous savons », alors que les petits, eux, ont la pétoche, la trouille, la peur quoi, face à ces dragons de l’imaginaire. Vous rigolez et pourtant, la psychose phobique chronique qui s’est emparée des médias puis de Monsieur et Madame Michu face à l’Intelligence Artificielle, l’IA pour les intimes, relève de la même démarche. « Ben oui, on est toujours des grands enfants face à ce que l’on ne connaît pas ». Mais là, il y a des pas sympas « sachants » qui entretiennent des peurs totalement irrationnelles. « Tu sais bien, le robot qui a gagné aux échecs ou au jeu de go, à moins que ce ne soit à la belote, enfin bref, ce robot-là, et bien demain, il va te manger tout cru » !

Bon, on respire profondément et on va faire ensemble le tour de la chambre de l’IA puis, on va ouvrir tous les placards pour chercher le grand méchant. En fait, même si elle ressort aujourd’hui, l’intelligence artificielle est un très vieux machin du début des années 50, inventé par un certain Turing, qui se trouve être aussi un génial « marketeur sans le savoir ».

- Tu vois, le mec qui te parle de méthodologie de résolution de problèmes à forte complexité algorithmique. Tu le regardes dans les yeux pour savoir s’il ne se moque pas de toi, puis tu passes ton chemin. Alors que le gars qui te dit : « l’ordinateur peut-il penser ?» et qui rajoute illico presto « intelligence artificielle », là, tu t’arrêtes et tu te dis : « mais il va me prendre la place le c… » et tu commences à flipper.

En plus, les jargons des geekeux intelligents s’apparentent à un ésotérisme évolué : IA « faible » ou « forte », bayésien, heuristique, deep learning, big data, logique floue, agents, inférences, manipulation de symboles automatique, réseaux neuronaux et j’en passe.

- Paulette, je te le disais bien, c’est une secte. Ils nous cachent des choses. Bien pire que X-Files. Ils ont même créé une Université de la Singularité. Un truc bizarre où il se passe des trucs pas très clairs. Je te le dis en 2023, au pire en 2045, on aura disparu, surclassé par l’intelligence des robots.

Et voilà comment la machine s’emballe. Pourtant, rien de bien sorcier dans tout cela. L'intelligence artificielle, c'est la capacité des machines à reproduire des fonctions que l'on attribue normalement aux humains, voire d’interagir avec nous. En gros, je te file un paquet de données et tu vas les traiter à ma place de manière intelligente. Mais pour un programme informatique fait de 0 et de 1, il n’est pas facile de comprendre le monde qui nous entoure. Demandez aux gars qui tentent de créer des véhicules sans chauffeur. Les stratagèmes pour modéliser l’environnement d’une manière accessible à un cerveau de silicium leur donnent des sueurs froides. Et même dans des choses plus « simples » comme la traduction automatique, la compréhension profonde du sens est loin d’être évidente.

Pour rigoler, reconnaissez-vous cette traduction aller/retour de ce célèbre poème ?

Et, lorsque vous soufflez en Octobre, des vieux cisaillent l’arbre de taille,
Mélancolie des billes rondes et du vent,
Ils doivent trouver l'ingratitude de la vie,
Ils sont comme cela est le cas, le sommeil, dans un lit chaud et propre

Cà ressemblerait plus à du Dali shooté à l’ecstasy mais c’est la seconde strophe de « la servante au grand cœur » de Charles Baudelaire. Si, si, allez voir.

Vous l’avez compris, si l’intelligence artificielle peut donner d’excellents résultats sur des bases de données bien propres, par exemple en bourse le trading à grande vitesse, ou la reconnaissance de la position des visages sur des photos, la compréhension d’environnements complexes reste souvent hors d’atteinte surtout lorsqu’on veut la généraliser. « Pour qu'une machine veuille faire quelque chose de dangereux, il faut qu'elle soit construite pour cela. C'est déjà assez compliqué de faire une machine qui fait quelque chose d’intéressant » (Yan le Cunn).

Et pourtant, les tenants de l’intelligence artificielle forte, partant du postulat que la conscience a un support biologique et donc matériel, ne voient pas d’obstacle de principe à créer un jour une intelligence consciente sur un support matériel autre que biologique. Et là mon gars, tout dérape avec des mélanges de succès de l’IA et de la pseudoscience (fiction). Les débats font rage et lorsqu’on voit des grands noms comme Elon Musk, Stephen Hawkins ou Bill Gate entrer dans la danse, on pourrait s’inquiéter. Mais est-ce rationnel ? « C’est comme si tu disais à ton bébé qui fait son premier rot qu’il est évidemment le futur Paul Bocuse ». Cela me fait fortement penser au scientisme du 19ème siècle qui croyait rapidement expliquer l’intégralité du monde avec les connaissances acquises. Qu’il y ait des débats sur l’éthique (exemple pour la voiture autonome : « je tue le conducteur ou le piéton ») est particulièrement sain. Qu’il y ait de vrais questionnements philosophiques sur ce qu’est réellement la pensée est passionnant. Mais aller faire croire que, parce qu’on sait créer des programmes basés sur l’apprentissage « récompense/punition », on va générer un génial Léonard de Vinci ou un sanguinaire Hitler, relève à minima de la supercherie, au mieux d’une tactique de stratégie boursière ou relève tout simplement de l’hubris (et là, je vous laisse plonger dans votre vieux dico tout crade pour bien comprendre ce terme).


Promenons-nous dans les bois, tant que le loup n’y est pas, si le loup y était ...

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