Corinne Lapras dirige Corpoé - L’esprit pionnier, une agence conseil en management, innovation et transformation des entreprises.
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En cette période de grande incertitude, les managers doivent revoir leur rôle dans l’entreprise. A travers deux histoires sportives autant qu’humaines, Corinne Lapras nous donne à réfléchir sur la position et la responsabilité du manager (1).
La crise actuelle challenge les managers avec une force inouïe. Ils doivent prendre sans aucune visibilité des décisions rapides qui engagent toute l’entreprise. Ce contexte de grande incertitude et d’exposition maximale était celui des grandes expéditions himalayennes. Voyons donc ce qu’elles ont à nous apprendre en management. Partons sur les traces de deux ascensions françaises, Annapurna 1950 et Makalu 1955 : héroïsme tragique pour la première, réussite collective tranquille pour la seconde.
Deux visions différentes de la performance
Il y a près de 70 ans, le 3 juin 1950, Maurice Herzog plantait le drapeau français au sommet du premier 8 000 dans un blizzard effroyable. Il signait quelques mois plus tard un immense best-seller sportif, « Annapurna, Premier 8 000 », qui exalta des générations de grimpeurs. Cet exploit fit de lui l’un des explorateurs français les plus populaires et lui ouvrit les portes d’une longue carrière politique. Mais cette renommée incontestable et ses retombées exceptionnelles sur la pratique alpine, ne peuvent être dissociées du coût humain élevé de cette victoire.
On sait moins que cinq ans plus tard, grâce notamment aux leçons tirées de l’Annapurna, les Français ont gravi le Makalu, 5e sommet le plus haut du monde. Conduite par Jean Franco, organisateur et discret meneur d’hommes, cette ascension a été une victoire collective.
Dans les deux cas, l’entreprise est périlleuse et l’objectif atteint, mais pas aux mêmes coûts.
Bienvenue en incertitude
En 1950, les défis sont immenses, à la fois sportifs et scientifiques, pour ceux qui s’aventurent sur les pentes de l’Himalaya. Ce sont les Thomas Pesquet des années cinquante. La topographie est approximative, beaucoup de zones restent non répertoriées et imposent une progression très lente et une remise en cause fréquente des itinéraires. On a une approche assez empirique de la physiologie de haute altitude. L’utilisation de l’oxygène fait débat. On ne sait pas encore qu’au-dessus de 7 500 mètres, c’est la « zone de mort ». L’équipement est rudimentaire pour supporter les vents violents et le froid jusqu’à -30-40°. On part en Himalaya avec le même matériel que pour des courses alpines hivernales, mais en plus grosse quantité.
Annapurna 1950, la loi de Murphy
L’Etat Français a constitué une « dream team », parmi les meilleurs alpinistes de leur génération, avec à sa tête, Maurice Herzog. Gaulliste de la première heure, héros de guerre reconverti dans les affaires, il semble l’homme de la situation.
Dans les faits, l’expédition tourne au cauchemar : changement d’objectif, marche d’approche ralentie par une grève des porteurs, erreurs d’itinéraire, tensions entre le chef et les membres de l’expédition, problèmes d’acclimatation, intendance défaillante, pénurie de vivres et d’équipements, dégradation de la météo… La fenêtre est de plus en plus étroite.
Herzog, décidé à ramener la victoire, modifie les cordées d’assaut, pour aller lui-même au sommet, avec Louis Lachenal. Il plante le drapeau français en haut de l’Annapurna le 3 juin 1950, dans une tempête sinistre. Les deux alpinistes se perdent dans la descente, ne sentent plus leurs mains ni leurs pieds.
Les douleurs du retour sont profondes, physiques et morales. Les amputations de Herzog et Lachenal en font des héros, mais désunis.
Les enseignements pour le Makalu
Le Comité de l’Himalaya tire les enseignements de l’Annapurna, et les applique cinq ans plus tard pour le Makalu (8 481 m) :
Le défi est important : le Makalu est plus haut et plus difficile que l’Annapurna. Jean Franco l’annonce au départ : « Je suis contre la tentation du record et la dangereuse séduction des héroïsmes. Je souhaite faire de cette expédition une grande démonstration collective ». Il se comporte en fédérateur, au jugement calme et ferme. Il délègue les responsabilités opérationnelles en fonction des atouts de chaque alpiniste. La veille de l’ascension, Franco impose à tous une journée de repos. Il organise les cordées par affinités, sans se placer dans la cordée d’assaut. Calendrier tenu et sommet conquis le 15 mai 1955, avec calme et virtuosité.
Conclusion en huit réflexions
De ces deux aventures, je livre huit réflexions aux managers en situation d'incertitude :
(1) Corinne Lapras dirige Corpoé - L’esprit pionnier, une agence conseil en management, innovation et transformation des entreprises.
Retrouvez la version intégrale du récit : https://www.linkedin.com/posts/corinne-lapras-23735838_management-incertitude-covid19-activity-6654321403342524416-G9Xp