Laurent Viviani : "On ne peut rien faire tout seul. Il faut s’entourer, activer des réseaux qui permettront d’accélérer les projets."
Créateur d’entreprise et business angel, Laurent Viviani a connu plusieurs vies dont une à l’étranger. Depuis plus de vingt ans, ce Lyonnais d’adoption alterne les aventures entrepreneuriales dans des secteurs et sur des modèles très différents.
À votre retour d’Ukraine, à la fin des années 1990, et après un MBA à emlyon, vous lancez votre première entreprise… ce sera un échec. Pourquoi ?
Laurent Viviani : J’ai créé la société Citymoov qui fabriquait des trottinettes motorisées. À l’époque, c’était la première mode de ces petits engins. L’idée était bonne, le brevet de base très intelligent. Mais on a eu des problèmes de qualité. Et surtout, les débats sur la question du port obligatoire du casque ont traîné et nous n’avons pas pu attendre. En clair, on était là trop tôt, ce n’était pas encore le bon moment. Ça a été une bonne leçon : le succès d’une nouvelle activité repose aussi sur le bon moment choisi pour la lancer. Il ne faut pas être en retard sur le marché mais pas trop en avance non plus.
En revanche, la création de la start-up Narval est une réussite…
Laurent Viviani : Oui, cette expérience fut un succès. Narval, créée avec des partenaires, proposait un dispositif médical permettant de lutter contre l’apnée du sommeil. Ce produit est arrivé, lui, au bon moment : la Sécurité Sociale a décidé de le rembourser, ce qui a été essentiel pour sa réussite. Du coup, nous avons été rapidement repérés, reconnus par les multinationales. Et nous n’avons pas eu de mal à revendre Narval au groupe australien Resmed en 2010, pour plusieurs millions d’euros.
En 2012, vous créez alors l’association de business angels Health Angels Rhône-Alpes (Hara) pour investir dans des medtech (dispositif médical)…
Laurent Viviani : Dans les medtech, les cycles sont de cinq à sept ans, beaucoup moins que dans les biotech qui, en plus, demandent davantage de fonds. Hara entre, généralement, dans les 18 mois après la création de la start-up, une fois que les POC (preuves de concept) sont démontrées, dans des tours de table de moins d’un million d’euros, seule ou avec d’autres acteurs financiers. Nous avons eu quelques succès comme Transcure (producteur de souris transgéniques) ou 360 Medics (une sorte de dictionnaire médical en ligne, une vraie success-story !), qui ont été revendues, illustrant parfaitement le temps que nous estimons nécessaires pour céder nos participations.
Si, en cinq ans, une jeune entreprise n’a pas décollé, c’est qu’il y a un problème.
Cinq à sept ans, c’est donc le bon timing ?
Laurent Viviani : Ça peut-être plus court mais oui, c’est le délai que nous visons. D’ailleurs, si, en cinq ans, une jeune entreprise n’a pas décollé, c’est qu’il y a un problème et qu’on risque de galérer par la suite.
Racontez-nous l’histoire des crevettes de Biomae…
Laurent Viviani : J’ai rencontré, en 2013, des chercheurs de l’Inrae (via Pulsalys) avec lesquels j’ai racheté la licence d’un brevet : l’idée est d’utiliser des crevettes comme marqueurs pour mesurer la toxicité de micropolluants dans l’eau. La technologie était efficace et, en plus, la législation européenne sur la qualité des eaux est devenue drastique depuis cette date. Il y avait donc une opportunité. Nous avons créé Biomae en 2014. La société élève des crevettes dont la croissance est très sensible aux micropolluants de l’eau douce. Il a fallu ensuite améliorer sa notoriété pour lever des fonds. Et nous avons participé au développement d’une filière française d’excellence dans le domaine de la biosurveillance de la qualité chimique et écotoxicologique des cours d’eau. La technologie a été reconnue par les Agences de l’Eau. Les bio-essais sont normalisés depuis 2019 et Biomae a été labellisé Greentech.
L’an dernier, nous avons revendu 100 % du capital au groupe Carso. Le fait de s’adosser à un groupe est positif. À un moment, ça permet de relancer la machine, d’avoir des moyens supplémentaires.
On pourrait citer d’autres cas comme Direct Analysis, une spin-off du CEA, ou vos activités dans l’immobilier. Quels points communs ont toutes ces aventures ?
Laurent Viviani : Le plus intéressant, dans ces expériences, c’est l’échange et les rencontres. On ne peut rien faire tout seul. Il faut s’entourer, activer des réseaux qui permettront d’accélérer les projets. C’est primordial.
Quant aux créateurs d’entreprise que nous soutenons, ils doivent être créatifs, flexibles car il faut parfois changer d’orientation dans le business, opiniâtres car les affaires sont toujours plus lentes que prévu. Il ne faut jamais rien lâcher, avoir du courage et beaucoup travailler. Dans les start-up, les problèmes humains et relationnels sont souvent très compliqués à gérer.
Enfin, et on l’a dit, l’appétence du marché est centrale dans la réussite d’un projet, d’une technologie. Il faut aussi arriver au bon moment, aller vite… mais pas trop non plus. Sans oublier, bien sûr, le facteur chance… qui est d’ailleurs souvent provoqué.
Cet article a été publié dans le numéro spécial 2500 de Bref Eco.