L’une a créé l’incubateur d’entreprises sociales Ronalpia en 2014. L’autre a fondé L’Aire Aérée qui propose des animations à destination des personnes âgées afin de maintenir le lien social. Ensemble, elles reviennent sur la crise sanitaire et ses conséquences.
Bref Eco : Comment les entreprises sociales, dont la mission première est d’être au plus proche des publics fragiles, ont-elles vécu le confinement ?
Léna Geitner : Il est difficile de faire un bilan global tant les champs d’action concernés sont larges. Certaines d’entre elles ont dû redoubler d’efforts pour aider les personnes précaires, leurs besoins étant encore plus grands. Heureusement, elles ont pu compter sur une vague de bénévolat sans précédent de la part de la société civile.
Nadia Guignier : Nous avons également pu compter sur de nombreux bénévoles, essentiellement des salariés qui se sont retrouvés temporairement sans activité et avaient besoin de se sentir utile. Aujourd’hui, même s’ils ont retrouvé une activité salariée, ils ont gardé le lien et répondent encore présents.
Bref Eco : Les différents plans de soutien à l’économie étaient-ils adaptés aux spécificités des entreprises sociales ?
Léna Geitner : L’arrêt a souvent été brutal ! Avec des conséquences à plusieurs niveaux : la trésorerie, d’abord. Si les entreprises ont pu bénéficier d’aides dans ce domaine, nous nous posons la question de leur surendettement à moyen terme. Sans compter que les clients de la plupart des entreprises sociales sont des collectivités, des publics fragiles, des instituts médico-sociaux, des hôpitaux ou des structures parapubliques qui ont gelé leurs achats du jour au lendemain.
L’autre impact a concerné les équipes. Placer tout le monde en travail à distance n’a pas été facile, d’autant plus quand les gens sont profondément motivés par ce qu’ils font sur le terrain, par l’impact qu’ils ont en direct. Être coupés de leurs bénéficiaires a été assez difficile.
Nadia Guignier : Chez nous, la mise en place du confinement a signifié la fin des ateliers collectifs pour les personnes âgées. Il a fallu nous réinventer rapidement ! Nous avons ainsi été un relais des municipalités pour mettre en place la livraison du pain et du journal, et passer des appels téléphoniques réguliers aux personnes fragiles.
Bref Eco : Cette crise aura mis en avant l’utilité des entreprises sociales dans leurs territoires mais aussi leur fragilité… Comment faire pour pérenniser leur modèle économique ?
Léna Geitner : C’est vrai, les collectivités ont compris qu’elles ne pouvaient pas répondre seules à tous les besoins de leurs habitants et se sont appuyées sur des acteurs associatifs ou sociaux. De grandes associations comme la Croix-Rouge et le Secours Populaire, très actives pendant la crise sanitaire, en sont un bon exemple. On s’est bien rendu compte que sans ce type d’associations agiles, nos sociétés ne tiendraient pas.
Sans parler nécessairement de subventions publiques, il y a de nombreuses façons, pour une collectivité, de travailler avec une entreprise sociale. Beaucoup de choses sont à inventer ! Les dernières élections municipales devraient d’ailleurs rebattre les cartes, avec de nouveaux élus qui devront faire face à une vraie crise économique et sociale. J’espère qu’ils se tourneront vers les entreprises sociales pour imaginer des solutions.
Nadia Guignier : De notre côté, nous travaillons pour faire de L’Aire aérée un vrai opérateur au service des collectivités et des acteurs publics. Dès septembre, nous proposerons des ateliers d’inclusion numérique aux personnes âgées grâce à des financements publics fléchés et du mécénat privé pour l’achat de PC.
Bref Eco : On entend parler des entreprises à mission, du label BCorp, des rémunérations des dirigeants revues à la baisse… Les entreprises traditionnelles vous emboîteraient-elles le pas ?
Léna Geitner : Danone est devenue la première entreprise à mission du CAC 40. On sent qu’il y a une lame de fond… Tout le monde veut imiter les entreprises sociales (rires) ! Le triptyque d’une entreprise sociale, c’est la gouvernance partagée, la lucrativité limitée et l’utilité sociale… On en parle de plus en plus ? Alors, tant mieux !
Nadia Guignier : Oui, il faut rêver (rires) !
LEURS TROIS IDÉES-CLÉS POUR LE REBOND
Propos recueillis par Corinne Delisle
Cet article a été publié dans le numéro 2422 de Bref Eco.