Fiers héritiers de la civilisation industrielle, nous associons assez facilement la question du travail à la question de la « production ». Et l’on associe bien volontiers un certain nombre d’outils pour évaluer cette production : le tableau de bord par exemple. Le rapport au travail est donc essentiellement quantitatif : on doit pouvoir l’évaluer.
Il y aura sans doute du sens à cette association : « travailler » et « produire » relèvent du champ conceptuel de la naissance : « produire » signifie étymologiquement « faire exister » ; « travailler », si l’on connaît souvent la dimension de « torture », dit moins la torture que l’on inflige que celle que l’on s’inflige : c’est le travail de la femme qui va donner naissance. Or il y a dans cette association quelque chose de très aristotélicien : étymologiquement, la production ne relève pas du régime de la création : on « produit » une pièce dans le cadre d’un procès, ce qui ne dit pas qu’on va la créer, mais plutôt qu’on va la dévoiler. C’est exactement l’idée que l’on retrouve chez Aristote à propos de la statue et du sculpteur : il ne crée rien, mais dévoile dans le marbre une statue qui est en puissance [1].
Travail et/ou divertissement
Or se cache ici une idéologie de la performance : nous associons volontiers la question du travail et celle de la production parce que nous avons tendance à penser le travail comme un lieu de performance. On peut s’en étonner à plusieurs titres. D’abord parce qu’il y a dans nos activités professionnelles des choses qui ne relèvent pas de la performance au sens strict : un team building par exemple, qui conditionne en partie la performance d’une équipe sans pour autant y être strictement associé. Ou dans certaines organisations, Google par exemple, les démarches de sérendipité. Ensuite parce que cela interroge « l’économie [2] du temps de travail », dont on a du mal à accepter qu’elle puisse intégrer des périodes de « divertissement ». Mais peut-être aussi parce qu’on a de ce concept une compréhension très ludique :
En effet, « divertissement » vient du latin « divertere », dit effectivement le loisir, mais au sens de la déconnexion qui nous permet de regarder notre quotidien sous un autre angle : un humoriste est divertissant parce qu’il me force à regarder des petites choses que je ne vois plus. Autrement dit, on parle ici tout autant du « ludique » que du « pas de côté ». Et en ce sens, les méthodes de créativité et d’agilité que nous utilisons relèvent autant du divertissement que de la performance.
De fait, « temps de travail » ne peut plus être exclusivement associé à « temps de production ». Et notre époque en a de plus en plus conscience. Car nous avons bien compris que la question de la performance ne se joue pas au nombre d’heures que nous passons sur un dossier, mais à une meilleure gestion des temps, une économie du temps de travail.
[1] Aristote, Physique, II
[2] Économie vient de oikonomia en grec, qui signifie la « gestion »
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