Mohamed Khenissi
© David Venier - Université Jean Moulin Lyon 3
Mohamed Khenissi, maître de conférences en sciences de gestion à l’iaelyon et enseignant- chercheur au sein du laboratoire Magellan de l’iaelyon, analyse depuis plusieurs années les données concernant la rémunération des dirigeants des grandes entreprises. Il les lie notamment à la performance de ces dernières. Il estime que l’intégration de critères RSE apporterait davantage de transparence et de justesse.
À chaque licenciement opéré par un grand groupe, la question de la rémunération du patron est mise dans la balance et pointée du doigt. Mohamed Khenissi propose une analyse plus fine de la question en étudiant notamment les documents financiers publiés par les grands groupes. « Il n’existe aucun lien entre la rémunération d’un dirigeant et la performance de l’entreprise », assure le chercheur. En résumé : ce n’est pas parce que le dirigeant a un salaire avec de nombreux zéros que son entreprise est plus performante sur le plan économique. « Un dirigeant est rémunéré par une partie fixe et une partie variable normalement liée à l’activité, détaille-t-il. Cette dernière, composée du bonus annuel ou de stocks options, a pour fonction d’inciter le dirigeant à prendre des décisions stratégiques pour améliorer la performance à long terme de son entreprise. Or, mes recherches démontrent que cet alignement rémunération/performance économique n’est pas systématiquement au rendez-vous. »
Décisions objectives ?
Il pointe plusieurs axes. La gouvernance en est un. « Qui com- pose les conseils d’administration et les comités de rémunération des grands groupes, créés justement pour assister les membres du conseil d’administration dans la stratégie de rémunération des cadres-dirigeants d’une entreprise ? Comment sont choisis leurs membres ? Leur indépendance pour prendre des décisions objectives est-elle réelle? Qu’en est-il de l’influence même du dirigeant sur ces organes de décision ou de consultation ?, s’interroge-t-il. J’ai eu accès aux procès-verbaux du tribunal de commerce lors de l’affaire de la rémunération considérée excessive d’Antoine Zacharias, dirigeant du groupe Vinci, au milieu des années 2000. Les liens et le réseau personnel du dirigeant étaient notamment pointés. » Autre axe également soulevé par le chercheur dans ce cas d’école : « les biais comportementaux de ces grands patrons et leur tendance au narcissisme », selon Mohamed Khenissi.
Critères extra-financiers liés à la RSE
Pourtant, face à ce manque de transparence, des critères extra-financiers liés notamment à la RSE apportent plus de justesse et de clarté dans ce sujet de la rémunération car le chercheur le rappelle, « ce n’est pas tant le montant de la rémunération qui interpelle mais plutôt la transparence de ses mécanismes ». Car aujourd’hui, la guerre des talents se fait aussi aux plus hautes fonctions des entreprises, dans une concurrence internationale face à des pays et des organisations prêts à débourser de très gros packages.
Ces critères RSE sont progressivement intégrés dans les grandes entreprises européennes. « En 2006, en France, seules 10 % des entreprises du CAC40 les avaient intégrés. Elles étaient 70 % en 2015 et 90 % aujourd’hui, avance Mohamed Khenissi. Parmi ceux-ci, on retrouve l’impact environnemental des activités de l’entreprise, les innovations vertes, l’égalité hommes-femmes, l’accueil de collaborateurs handicapés… » Les lois Sapin et Pacte vont dans ce sens et obligent les entre- prises non seulement à publier des ratios d’équité mais à engager des politiques sociales plus égalitaires. « Ce sont de bons outils, affirme le chercheur, pour aller vers cette trans- parence qui a pour vertu d’apporter davantage de confiance entre toutes les parties prenantes de l’entreprise. Alors oui, la transparence sur la rémunération des dirigeants tend à s’améliorer. »
Cet article a été publié dans le magazine Connect'iaelyon,
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